«J’ai testé la semaine de 4 jours»

«J’ai testé la semaine de 4 jours»

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La nouvelle relation (numérique) au travail

La technologie, amplifiée par la crise sanitaire, modifie en profondeur notre relation au travail 

Pour David Lacombled, «ce n’est pas la fin du travail mais la fin d’une certaine idée du travail». Pour le président de La villa numeris, «le travail n’est plus la valeur cardinale permettant de se distinguer, de s’élever, de s’épanouir. Livres, familles, voyages le remplacent avantageusement.»

Delphine Sabattier, journaliste: La technologie c'est humain puisque c'est notre chronique. Elle modifie en profondeur notre relation au travail. Moyennant quoi, vous avez testé la semaine de quatre jours?

David Lacombled, président de La villa numeris: Oui. Un peu contraint et forcé, comme tous d'ailleurs, avec ces ponts du mois de mai. Il faut bien voir, plus sérieusement, que de plus en plus d'entreprises essaient actuellement la semaine de quatre jours. Il y a eu pas mal d'annonces depuis le début de l'année. Avec un principe qui est assez simple : vous travaillez moins de jours par semaine et un peu plus d'heures par jour. Et à la fin de la semaine, tout le monde y gagne. Des salariés qui ont pris goût à une certaine forme d'autonomie, et donc de mieux maîtriser leur temps, d'avoir plus de temps à soi. Et les entreprises qui, maintenant, savent parfaitement jongler avec les plannings de leurs salariés et qui, elles, gagnent des mètres carrés.

C'est pourtant un concept ancien. Il avait été théorisé par un économiste, Pierre Larrouturou, qui est actuellement député européen et par un député-maire, Gilles de Robien. On était dans les années 90 et le succès a été tout relatif. Les mentalités n'étaient pas prêtes à l'époque. La crise sanitaire est passée par là et désormais les mentalités et les salariés sont prêts.

Delphine Sabattier: Donc, cette crise sanitaire a fait qu'on a tous basculé dans le télétravail, le travail à distance en 2020, rendu possible par la technologie.

David Lacombled: Alors, mieux qu'une baguette magique, la technologie, et tous ses outils, a joué comme un accélérateur de choses qui étaient déjà prêtes comme le haut débit filaire ou mobile. Les infrastructures ont tenu. Les équipements mobiles ou ordinateurs étaient tout aussi prêts et foison d'applications nous ont permis de jongler de réunions en réunions ; Teams ou Zoom, de messageries des plus anciennes aux plus nouvelles comme Discord pour les parents qui avaient des enfants et qui suivaient leur cours. Ainsi, souvenez vous, il n’y a pas si longtemps que ça, les utilisateurs qui avaient déjà utilisé ces outils ont ripé d'un coup d'un seul comme si de rien n'était. Ce qui les connaissez pas ont un peu plus galéré, mais s’y sont finalement mis assez vite, créant effectivement de nouvelles habitudes.

Et on a bien vu d'ailleurs pour les entreprises la difficulté à faire revenir parfois même leurs salariés à l'automne dernier. Souvenez-vous d'Elon Musk qui a sifflé la fin de la récréation et qui a demandé d'ailleurs que l'intégralité de ses salariés reviennent sur leur lieu de travail.

Alors certes, la grande démission, cette vague qui a touché les Etats-Unis, n'a pas touché les rivages européens. Néanmoins, on voit bien que le rapport au travail évolue, que les individus veulent donner plus de sens à leur vie et donc aussi à leur vie professionnelle. Et les entreprises l'ont bien compris. Beaucoup d'accords de télétravail ont été noués dans toutes les grandes entreprises et quels que soient les postes de recrutement, il n'y a plus une seule discussion qui ne parle pas à un moment du télétravail. Que vous soyez le plus illustre ou le plus modeste dans l'organisation.

Delphine Sabattier: C'est vrai et sans que cela ne nuise au résultat des entreprises?

David Lacombled: Au contraire, parce que les individus sont un peu plus heureux et un peu plus épanouis. Et de fait, les salariés sont plus productifs et donc l'entreprise a tout à y gagner. Et la puissance publique aussi, puisque si vous avez des personnes qui sont heureuses au travail, il y a des chances pour qu'elles s'y rendent ou qu'elles y restent à distance, mais qu'en tout cas elles ne soient pas absentes. Et donc c'est bien une économie globale qui se portera mieux à la fin.

Alors c'est vrai que jusqu'à présent le télétravail était quand même associé au dilettantisme et c'était chose relativement rare avant les années 2020. D'ailleurs, il reste quelques stigmates. Je discutais récemment avec le directeur de la communication d'un grand groupe qui me disait «n'appelle pas mon assistante, elle est en télétravail». La bonne affaire. Donc on voit bien qu'il faut encore faire évoluer un peu les mentalités. Mais les choses ont changé. Les salariés reprennent le pouvoir dans les entreprises, ne serait-ce que parce que la main d'œuvre devient un peu plus difficile à trouver pour des raisons démographiques. Et donc l'entreprise n’est plus un espace fermé, mais au contraire un hub dans lequel on vient échanger, dans lequel on vient travailler de manière agile, dans lequelle on de on a des méthodes partagées et dans lequel parfois on vient aussi travailler.

Delphine Sabattier: Et ça vous semble être une organisation idéale?

David Lacombled: Oh, je ne vais pas parler d'un rêve sur Terre au sens où on voit bien que tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Et d'ailleurs, il y a beaucoup de métiers qui ne se feront pas si vous ne vous déplacez pas. Et d'ailleurs, ceux qui ont à se déplacer sont ceux pour ces métiers là qui habitent le plus loin. On le voit bien, les télétravailleurs, je ne vais pas dire les bobos, dans une sorte de gentrification, qui fait que les classes aisées investissent des lieux dans les centres-villes en particulier, sont ceux qui habitent le plus près de leur travail, là où ceux qui ont besoin de se déplacer habitent en périphérie, en banlieue, au ban de la cité, si on reprend l'étymologie même de ce mot. Et on voit bien que le débat sur les retraites qu'on a vécu avec toutes ces tensions, avec toutes ces incompréhensions, a montré aussi une certaine forme d'antagonisme. Et c'est bien un débat plus large sur l'avenir du travail dont on a besoin. D'autant plus qu'on voit bien qu'avec l'émergence de solutions d'intelligence artificielle générative, comme TchatGPT, chacun s'est posé la question de savoir si son propre métier ne serait pas en péril à terme. D'ailleurs, ça fait la une de tous les journaux.

Delphine Sabattier: Oui, et on en parlait tout à l'heure, juste avant dans le domaine de l'éducation. Entre sur la destruction créatrice. Est-ce que selon vous, on va vers la fin du travail?

David Lacombled: Non, mais on va vers la fin d'une certaine forme d'idée du travail. Le travail n'est plus une vertu cardinale, il faut bien le reconnaître, qui permettait de s'élever, de se distinguer, de s'épanouir. Désormais, les loisirs, les voyages, la famille remplissent très bien cet office. Et puis on parlait de raison démographique. Le travail est devenu une option de nos vies. Il y a encore 50 ans, c'était plus de la moitié de sa vie. Désormais, c'est moins entre des études un peu plus longues et des retraites en bonne forme malgré tout, un peu plus longues également, qui font que, au final, vous avez des personnes qui en plus à la retraite, arrivant en bonne forme, auront un deuxième emploi qui n'avaient juste rien à voir avec le premier. Et c'est là où la technologie est intéressante, c'est qu'elle permet aujourd'hui de démultiplier les métiers et les activités. On nous avait dit qu'on ne ferait pas le même métier avec le même employeur toute notre vie, mais on ne savait pas qu'on en aurait plusieurs en même temps.

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