#DigitalTrends 15/03/23

#DigitalTrends 15/03/23

Compte-rendu

Médias et parité: un enjeu d’actualité

Si de nombreux médias ont mis en œuvre des politiques managériales visant la parité, le traitement de l’information semble ne pas toujours répondre à une volonté pourtant affichée

Un si long combat. Nos grands témoins réagissaient aux résultats de la 10e édition de l’Observatoire de la parité dans les médias - Aday paru à la faveur de la Journée internationale des femmes.

La villa numeris poursuit ses rencontres dans le cadre du cycle qu’elle consacre à l’avenir des médias. Plusieurs dirigeants et experts ont apporté leurs expertises et points de vue pour tendre vers davantage de parité dans le traitement opéré par les médias. Encore loin de la parité

«De nombreux médias ont mis en œuvre une politique managériale visant la parité et, pourtant, le traitement de l’information ne semble pas y répondre. Il y a une trop forte disparité», explique David Lacombled, président de La villa numeris. «Macron, Zelensky, le Pape, les footballeurs du PSG, etc. ceux qui font la Une des médias sont majoritairement des hommes» rappelle Jessica Lopez, adjointe à la rédaction en chef centrale chargée des principes rédactionnels et de la diversité à l’AFP qui veille, avec les principes rédactionnels, à «la façon dont on écrit et aux mots qu’on utilise. Il s’agit de citer les femmes différemment, pas nécessairement en tant que victimes, il faut voir les femmes qui agissent. C’est un double chantier: à la fois qualitatif mais aussi quantitatif».

Jean-Frédéric Farny, directeur général de Aday, leader de la veille média en France, partage son «impression d’absence flagrante de parité». Il prend appui sur «des flux venant directement des éditeurs» et «les outils d’indexation et d’analyse texte et audiovisuel, développés par les chercheurs d’Aday». Il a présenté la 10e édition de l’Observatoire de la parité dans les médias - Aday mesurant l’évolution de la visibilité des femmes dans la presse française à partir du classement des 1 000 personnalités les plus médiatisées en France à partir d’un échantillon très large de médias. «Pour l’année 2023, la présence des femmes est de 21,4% de femmes contre 15,1% en 2021». Une visibilité record. Pourtant, «on est encore loin du compte en matière de parité».

Parmi les femmes les plus citées en 2022, apparaît en 1er Elisabeth Borne. Elle est suivie par Marine Le Pen, Anne Hidalgo, Clara Luciani, Juliette Armanet. Si la culture et les médias sont bien représentés à 58%, «d’autres secteurs comme le «business» entendu au sens de tout ce qui concerne l’entreprise et les fédérations, les femmes ne sont représentées qu’à 1%» explique Jean-Frédéric Farny. Dans l’univers de la technologie, «il y a une surreprésentation des hommes», déplore David Lacombled.

Marlène Coulomb-Gully, chercheuse en communication politique et sur les représentations du genre dans les médias évoque les travaux qu’elle a menés avec la sociologue Cécile Méadel et la méthodologie GMMP, s’appuyant sur une «étude internationale réalisée tous les 5 ans qui mobilise des groupes de chercheurs de 116 pays». Celle-ci porte sur «les informations dans les pics d’audience en fonction des médias».

«Voir l’invisibilisation des femmes interpelle» note-t-elle. A ce propos, David Lacombled témoigne qu’ «il est toujours plus compliqué d’inviter une femme qu’un homme. Elle se pose la question de la légitimité». Marie-Christine Tabet, directrice adjointe des rédactions du Parisien, explique d’ailleurs, que «quand on ouvre un poste de journaliste en interne, il y a toujours plus de candidats que de candidates».

«Compter pour que les femmes comptent»

«Dans un reportage pour un média local, des candidats tractent. Le micro n’est tendu qu’aux hommes politiques. Les seules femmes entendues sont des ménagères. C’est le stéréotype: un homme politique et une femmes ménagère» raconte Marlène Coulomb-Gully indiquant combien «les médias ont une marge de manœuvre sur la question des expertes: il y a un quart d’expertes sollicitées sur l’ensemble des experts. Pourtant, on a des spécialistes dans tous les domaines. Les expertises sont très importantes: c’est un rapport au savoir et au pouvoir».

Elle explique aussi que «l’égalité ressentie surévalue l’égalité réelle. Il faut compter pour qu’elles comptent. L’objectivation par les chiffres me semble importante». «En lisant le journal, les gens croient apprendre ce qui se passe dans le monde. En réalité, ils n’apprennent que ce qui se passe dans le journal», les mots du Chat de Philippe Geluck sont cités par Marlène Coulomb-Gully qui rappelle que «les informations interprètent le réel. Les interprétations introduisent les biais que l’on constate. Les médias sont le reflet des rapports de domination dans la société. Les médias sont hyperréalistes ; ils minorent les groupes les plus faibles et majorent les groupes les plus forts».

«Deux journalistes de l’AFP des rubriques police et justice se sont rendu compte qu’elles citaient beaucoup d’hommes. Aussi, Michèle Leridon, alors directrice de l’information avait demandé de regarder la représentation des femmes dans nos dépêches, nous sommes à la source de l’information», explique Jessica Lopez, adjointe à la rédaction en chef centrale chargée des principes rédactionnels et de la diversité à l’AFP. «Marlène Coulomb-Gully nous a remis un rapport qui montre que les femmes sont, à peu près, présentes dans un quart des contenus. Si l’on regarde les expertes, on descend en dessous du quart. Cela nous a fait réfléchir: à qui donne-t-on la parole? Comment met-on en vidéo? Comment parle-t-on des femmes dans les contenus?», décrypte Jessica Lopez au sujet de l’agence qui compte 2 400 collaborateurs dans 151 bureaux.

La remise en question est bien là. «Pas un seul journaliste ne travaille de la même façon depuis l’affaire Weinstein. Notre travail consiste à s’interroger sur le monde. C’est un chantier accueilli comme tout autre chantier pour s’améliorer journalistiquement et parler des gens qu’on a envie d’attirer», considère Jessica Lopez.

Pour Marlène Coulomb-Gully, «il ne s’agit pas d’inventer les femmes là où elles ne sont pas mais de les voir où elles sont. Les médias ont une marge de manœuvre. Il faut s’interroger sur le qualitatif. On ne parle pas des femmes politiques comme des hommes politiques. Elles restent des femmes. D’un homme politique, on dit qu’il a du caractère, d’une femme, on parle d’un mauvais caractère. D’un homme, on souligne son sens de l’initiative. D’une femme, on dit qu’elle est incontrôlable et imprévisible. Les mots pour dire les hommes et les femmes ne sont pas les mêmes. Au-delà du quantitatif, il y a le qualitatif: c’est là que se logent les différences et le diable se cache aussi dans les détails». Marie-Christine Tabet relève ainsi que «les hommes existent parce qu’ils sont ; les femmes parce qu’elles font».

Être volontariste

«A la suite de la une du Parisien sur le monde de demain à la sortie du premier confinement qui avait quatre hommes sur sa une, on a beaucoup réfléchi en interne, on a établi une charte pour imposer des expertes. On a décidé de nous changer nous-mêmes pour mieux prendre en compte ce qui est donné comme le réel. On a fait un mercato en interne pour une trentaine de postes notamment pour la direction», témoigne Marie-Christine Tabet qui souligne que «les journalistes ont plein de bonnes volontés mais ont des carnets d’adresses et des habitudes. Les piqûres de rappel sont à donner en permanence».

Aussi, Jessica Lopez prône «la sensibilisation» qui consiste à «ne pas laisser les dépêches sans femmes. A-t-on fourni un effort de chercher d’autres femmes? Pendant la Covid-19, le CNRS envoyait aux médias les bases d'expertes et d'experts pouvant parler sur ce sujet pouvant parler sur les champs». Elle l’affirme: «Oui pour se bousculer en tant que journaliste pour s’interroger sur ses propres biais, pour aller sur des terrains inconnus, chacun à son échelle pour s’interroger sur ses propres pratiques». Evoquant les mardis du Parisien destinés à la rédaction avec des femmes de technologie, Marie-Christine Tabet note que «la société avance plus vite que les institutions et les journalistes. Je le constate avec les interactions avec les lecteurs. Nous recevons beaucoup de mails de lecteurs et sommes bousculés par eux. La nouvelle génération est très sensibilisée sur ces questions».

Pour Jean-Frédéric Farny, il faut «continuer de compter» point de vue partagé avec Marie-Christine Tabet. Pour Marlène Coulon-Gully, «il n’y a pas de solution miracle: «continuer à compter même si on se lasse de ces constats qui ne bougent pas ou si peu. Une pression permanente pour qu’on passe à une société d’égalité» est nécessaire pour elle. «Permettre à des femmes d’accéder à des postes de hiérarchie» est souligné par Jessica Lopez. Jean-Frédéric Farny suggère qu’à «chaque proposition de prise de parole, il faut s’interdire de la refuser». Il s’agit bien pour Marie-Christine Tabet d’«être volontariste à tous les étages. Sans l’action, il ne se passera rien».

:: Nos grands témoins

  • Marlène Coulomb-Gully,  chercheuse en communication politique et sur les représentations du genre dans les médias. Dernier ouvrage paru: Sexisme sur la voix publique - Femmes, éloquence et politique (Editions de l’Aube, 2022)
  • Jessica Lopez, adjointe à la rédaction en chef centrale chargée des principes rédactionnels et de la diversité à l’AFP
  • Marie-Christine Tabet, directrice adjointe des rédactions du Parisien
  • Jean-Frédéric Farny, directeur général de Aday

:: Pour aller plus loin

  • Résultats de la 10e édition de l’Observatoire de la parité dans les médias - Aday >> Découvrir

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