Data lex sed lex

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#DigiLex | Jeudi 25 novembre 2021 | Compte-rendu

Maître de ses données et de son destin

Sous l'égide du sénateur Jean Hingray, l'Observatoire des enjeux législatifs de la transformation digitale de notre société traitait des données et en particulier de leurs transferts transfrontaliers

Alors que les acteurs privés comme publics ont besoin d’un cadre de confiance suffisamment large au niveau européen pour gagner en stabilité, nous souhaitons apporter un focus sur la législation française.

Les membres de La villa numeris se sont retrouvés pour un débat vif et animé avec de grands témoins autour de l’enjeu de la protection des données. La maîtrise des données est à la confluence des univers politique, juridique, économique et géopolitique. Un sujet dont les contours ne sont pas encore tracés ni totalement saisis. Etat des lieux.

Se saisir enfin de ces sujets

«Alors que le cadre est fluctuant, les acteurs économiques ont besoin de stabilité» rappelle en préambule à la matinée, le président de La villa numeris, David Lacombled. Les questions qui se posent sont nombreuses quant aux données. «Comment faire face aux attaques en tant qu’élu?» s’interroge le sénateur des Vosges, Jean Hingray évoquant «des élus hackés et des sites de mairies piratés».

Les préoccupations sont bien là. Parfois, pourtant, les intérêts entre les acteurs «sont difficiles à concilier» comme le souligne Valérie Chavanne, avocate. Celle qui a dirigé les travaux du rapport de La villa numeris souligne que «Les données au service de la souveraineté européenne» relève, ainsi, les différentes positions prises entre «l’Etat, les entreprises privées et publiques qui doivent opérer et les citoyens qui veulent être protégés».

«Les clients veulent Amazon Web Service (AWS) ou Microsoft Azur. On ne va pas les convaincre par des mots mais par des solutions», explique Bertrand Pailhes, directeur des technologies et de l’innovation de la CNIL. «Les entreprises françaises, qui n’ont pas de problèmes de transfert, ont besoin de soutien», souligne-t-il.

Fondateur d’Openvalue et président de la fondation IA pour l’école, Guillaume Leboucher revient sur le changement de nom de Facebook, «une provocation. Meta signifie «au-delà», comme «au-delà des limites». Si la majorité numérique est fixée à 15 ans, soulignant que «la metaverse va toucher nos enfants - à quand la première école sous metaverse?», Guillaume Leboucher propose de relever la majorité numérique à 18 ans.

Pour Jean-Marie Cavada, président de l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques, «les grandes plateformes doivent avoir le statut de médias. Puisqu’elles font de la communication publique, elles doivent porter la responsabilité de ce qu’elles transmettent. Il s’agit de faire en sorte que ces outils restent des outils».

La data, un outil

«La data sans circulation n’a aucun sens» constate Valérie Chavanne. La question de la souveraineté numérique se pose afin d’être maître de ses données. Le rapport de La villa numeris «Les données au service de la souveraineté européenne» note une trajectoire à effectuer en plusieurs phases. «On propose une démarche en deux temps. Il s’agit, d’abord, des licences, de l’anonymisation, du chiffrement des données en attendant de pouvoir être pleinement indépendant vers une souveraineté numérique un peu plus complète». Puis, s’inscriront, d’autre solutions comme «l’open source», selon Valérie Chavanne.

Pour défendre une souveraineté numérique, l’implication doit se faire sur deux prismes «tant au niveau du marché qu’au niveau du contenu. Il faut fixer des règles,» souligne Jean-Marie Cavada, président de l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques. Pour lui, «beaucoup de progrès sont à faire pour le fonctionnement en matière de transparence, de concurrence ou encore de captivité des utilisateurs». Jean-Marie Cavada le rappelle : «personne n’accepte de devenir le smartphone de son smartphone.». Aussi, il souligne que «tout ce qui est interdit dans la vie réelle doit l’être aussi dans la vie numérique». Il considère que l’on ne doit pas avoir de «prosternation devant cette industrie».

«Quand vous prétendrez monter dans une voiture, vous apprendrez à la conduire, vous allez à l’école et il y a le code de la route. L’éducation, dite nationale, a le devoir de faire venir ces technologies dans l’instruction des enfants. L’école doit se saisir de l’instruction des sujets sur les enfants» considère Jean-Marie Cavada. Aussi, Valérie Chavanne considère qu’«il faut former nos enfants dès le plus jeune âge (codage, éthique, privacy) mais il est indispensable de former les enseignants et les parents. Les adultes doivent comprendre et utiliser les outils/services des jeunes générations pour les accompagner.»

Penser à l’échelle de l’Europe

«La solution est au niveau européen» affirme Jean Hingray, sénateur des Vosges, qui accompagne l’observatoire #DigiLex depuis l’automne 2020. La question politique est bien présente. Aussi, Jean-Marie Cavada interroge : «a-t-on les moyens de se protéger du Cloud Act ? Il faut trancher cette affaire. Nous ne sommes pas à l’abri des services américains.»

Entré en application le 25 mai 2018, le Règlement général pour la protection des données (RGPD) continue à faire couler beaucoup d’encre. Guillaume Leboucher, fondateur d’Openvalue, souligne qu’ «au bout de trois ans, le RGPD a apporté beaucoup de choses. Il faut le porter et aller plus loin ; les metaverses représentent un enjeu considérable». Pour Bertrand Pailhes, directeur des technologies et de l’innovation de la CNIL, «le RGPD a tenu lieu de galop d’essai pour fixer les règles globales au monde numérique. C’est un très grand mouvement de prise en compte de protection des données. Il est, parfois, vu comme assez lourd. Il a des effets sur la gouvernance des données au sein de l’entreprise». Il relève «les sanctions qui crédibilisent le texte. Il y a un travail qui se met en place. Le sujet est de plus en plus pris au sérieux», constate-t-il, louant «la puissance de l’Europe à fixer ces règles et à les faire respecter. Elle a déplacé le débat de la souveraineté numérique au niveau européen». Valérie Chavanne relève ainsi : «tout le monde s’accorde à dire que le RGPD est un bon texte, il a d’ailleurs inspiré de nombreux états (le RGPD a beaucoup de cousins). La vision et les objectifs du RGPD s’accordent avec la défense d’une stratégie européenne mais les textes ne sont rien sans leur interprétation et leur implémentation pratique».

En effet, pour Jean-Marie Cavada, président de l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques, «du point de vue politique, de la construction de la société et des rapports de force mondiaux, toute tentative de réglementation, si elle n’est pas au niveau continental, c’est-à-dire européen, n’a pas de sens». Il loue ainsi l’importance de se penser en tant qu’Européen au regard des leaders des deux côtés du Pacifique. «Un monopole américain ou chinois peut s’isoler des utilisateurs ou des citoyens d’un pays, cela ne va pas changer leur existence. En revanche, on ne peut pas se passer d’un marché de 500 millions de consommateurs. C’est au niveau européen qu’on peut agir».

Pourtant, pour Bertrand Pailhes, «le chemin va être long. L’Europe n’est pas en pointe sur la technologique numérique». Et, «on souffre du manque de capitaux mobiles en Europe» déplore Jean-Marie Cavada. Guillaume Leboucher le rappelle : «en 2021, il y a plus de données créées qu’en 50 ans d’informatique. Notre monde va être bouleversé. C’est aujourd’hui que cela ne se passe pas demain». Un chemin sinueux mais avec un horizon européen.

:: Nos grands témoins :

Jean-Marie Cavada

Président iDFRights - Institut des Droits Fondamentaux numériques

Valérie Chavanne

Avocate

 Guillaume Leboucher

PDG d'Openvalue

 Bertrand Pailhes

Directeur de l’innovation et des technologies de la CNIL

:: Pour aller plus loin :

  • Le rapport de La villa numeris «Les données au service de la souveraineté européenne» >> Lire
  • Le site de la CNIL >> Voir
  • Le site de la Fondation IA pour l’Ecole >> Voir
  • Le site de l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques >> Voir

:: Avec le soutien de :

 

 

 

:: A propos de #DigiLex

#DigiLex est l’Observatoire des enjeux législatifs de la transformation digitale de notre société créé par La villa numeris sous l’égide, désormais, du sénateur Jean Hingray. Ce rendez-vous confronte les points de vue sur un sujet majeur de la transformation en exposant les attentes et les craintes des citoyens, les points de vue du législateur qui fait la loi et d’experts. Né de la rencontre en 2016 du sénateur Jérôme Bignon avec François Raymond et David Lacombled, pour La villa numeris, cet observatoire se réunit de deux à trois fois par an. Depuis l’automne 2020, Jean Hingray, sénateur des Vosges, a pris le relais de Jérôme Bignon qui ne s'était pas représenté.