Elections hors normes

Elections hors normes

#DigiLex 14/04/21 | 8h45 > 9h45 | 100% online | Compte-rendu

Campagnes inédites

A quelques mois des élections régionales et à un moins d'un an de l'élection présidentielle, les candidats doivent réinventer la manière de mener une campagne électorale.

En raison de la crise sanitaire, la relation entre les élus et les citoyens évolue. Périodes d’échanges et de contacts privilégiées, les campagnes électorales doivent se réinventer. Le report des élections régionales au début de l’été 2021 et la perspective de la présidentielle au printemps 2022 sont deux rendez-vous majeurs au cours desquels de nouveaux comportements et pratiques devront être anticipés.

Une nouvelle façon de faire de la politique 

« Le numérique a un rôle d’émancipation » relève Jean Hingray sénateur des Vosges, récemment arrivé à la tête de l’observatoire #DigiLex de La villa numeris. De Twitch à TikTok, les réseaux sociaux prennent une part de plus en plus grande alors que nos habitudes sont repensées au rythme des confinements successifs. Pour Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, réagissant à un benchmark, l’élue du Congrès, « Alexandria Ocasio-Cortez a compris à quel point il va falloir compter avec toutes les formes de réseaux sociaux qui sont une des agoras modernes ». 

D’ailleurs, le fondateur de l’agence de communication Treize articles, François Raymond, cite l’élue de New-York (USA) comme l’une des responsables politiques ayant « les meilleures pratiques », forte d’ « un charisme incroyable et l’incarnation de l’Amérique des différences », elle s’appuie sur « des thématiques de campagnes disruptives ». Il cite, ainsi, une vidéo d’elle dansant comptant plus de 20 millions de “vues” ou encore sa participation à Animal Crossing où « elle a ouvert ses messages directs ». 

Le directeur général adjoint de l'Ifop, Frédéric Dabi cite, par ailleurs, « des candidats qui s’adressent à la jeunesse via des médias jeunes comme Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ». Il souligne « l’individualisation des choix, des comportements ». Natacha Polony évoque « le problème de glisser insensiblement de la démarche saine de chercher électeurs là où ils sont à une sorte de saucissonnage du corps politique en cibles marketing en adaptant le discours aux groupes auxquels on s’adresse comme si ces groupes n’avaient rien à voir entre eux. C’est une fracturation de la communauté nationale dangereuse ». 

« L’utilisation des réseaux sociaux est de plus en plus prépondérante », note Jean Hingray. Pourtant, la loi demeure en retrait de ses nouvelles pratiques 2.0. En effet, l’élu des Vosges rappelle que celle-ci « ne permet pas d’encadrer l’achat publicitaire sur les réseaux sociaux ou la participation aux jeux vidéos en ligne ». Avocat, associé d’Arco Legal, Cyril Fergon interroge : « comment réguler des réseaux sociaux dispatchés dans le monde entier ? La nouvelle façon de faire de la politique dilue les responsabilités ». En outre, Cyril Fergon souligne que « ces nouveaux vecteurs de campagne accentuent la dérégulation et l’absence d’accès aux droits et aux juges ». Pour Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, « l’opinion s’est "réseausocialisée". Elle est plus volatile, brutale et digère plus vite. »

Le pouvoir de la data est « un terreau », considère David Lacombled, président de La villa numeris. Des grilles de lecture s’opposent quant aux réseaux sociaux et aux algorithmes comme le note François Raymond : « enfermement affinitaires ou renouveau du débat contradictoire ». Il évoque l’initiative des Républicains anti-Donald Trump avec le « Lincoln project » consistant en « un ciblage affinitaire pour créer un débat contradictoire ». Le fondateur de l’agence treize article relève qu’aux Etats-Unis existe « une logique de qualification de bases de données pour créer des profils auxquels on s’adresse ». Jean Hingray rappelle l’importance de « sécuriser la collecte de données ».  Celui-ci l’effectue pour s’adresser aux grands électeurs. Il est important de « pouvoir informer et diffuser de l’information ». Pour Cyril Fergon, « un candidat peut utiliser des données quand elles sont récoltées de façon transparente ». Prenant en compte le cadre légal français, il relève « les coûts d’acquisition et de traitement des fichiers ». 

Médias traditionnels ET sociaux 

Avec la campagne pour les élections présidentielles, un basculement s’opérera-t-il ? « Je ne le pense pas. Il s’agira plutôt d’un rééquilibrage avec une double campagne » considère Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, relevant « le poids non négligeable des réseaux sociaux notamment pour les primo-votants ». Ceux-ci, d’après lui, sont « un atout formidable pour cibler les publics spécifiques et mobiliser la force militante. C’est une question d’équilibre et de ciblage ». 

A l’aune des prochaines échéances, François Raymond présente « la panoplie des candidats Covid » citant le maire de Londres Sadiq Khan qui « organise ses meetings sur Teams. Covid oblige, la plupart des événements ont lieu à distance » et le sénateur Mark Kelly et son usage de Snapchat. En effet, dans une recherche de « publics ciblés, son équipe de campane a estimé qu’il y a plus d’1 millions d’électeurs de l’Arizona entre 18 et 30 ans ». François Raymond souligne aussi l’importance de « continuer en même temps à travailler le terrain » à l’image « des opérations caritatives « porte à porte » pour aider les habitants à gérer la pandémie » et il invite « si le déconfinement devient réalité, à penser à organiser des selfie lines comme Elisabeth Warren ».  Il convient de « veiller à faire vivre le débat », explique David Lacombled. 

Pour Natacha Polony, auteure de « Sommes-nous encore en démocratie ? » (Editions de l’Observatoire), « nous devons prendre notre énergie pour empêcher un fiasco. Les médias ont un rôle à jouer ». Il importe, pour elle, de « se demander ce qui a raté et a décrédibilisé les médias » et « il faut que les politiques fassent ce pour quoi ils sont élus ; appliquer la volonté démocratique ». Natacha Polony déplore « la rupture de capacité de représentation des élus, des médias et de l’ensemble des institutions ». Ainsi, Jean Hingray juge que « c’est aux médias régionaux et nationaux de participer aux campagnes, les prochains mois, pour renouer le dialogue et l’intérêt. » Il revient sur le rôle clé du contact humain « qui prime », notamment pour les départementales, « des élections de proximité ».

« Il faut être réaliste » prévient Cyril Fergon, Avocat, associé d’Arco Legal, au sujet de l’accès aux réseaux sociaux qui reste aux mains de véritables communicants. « Qui dit professionnels, dit sources de dépenses ». Il rappelle que « le système à la française est très encadré en matière de recettes et de dépenses ».

Ne pas diluer l’idée de la démocratie 

Aujourd’hui, les réseaux sociaux s’apparentent à « une agora fonctionnant sur des bases privatisés et non celle des règles de la démocratie », considère Natacha Polony pour qui « le débat démocratique est nécessaire pour que les citoyens puissent choisir. Le débat peut aussi permettre de parler à des gens qui ne pensent pas comme eux ». David Lacombled considère que « les réseaux sociaux sont des exhausteurs de sentiment. Il s’agit de ne pas se laisser embarquer dans des campagnes erratiques ». Pour Natacha Polony, ils s’inscrivent dans « une mécanique de libération des pulsions ».

Les médias doivent aussi prendre leur part, note Natacha Polony : « la communication politique est essentielle mais ce n’est pas la politique. Le rôle d’un media comme « Marianne » est de le rappeler. Nous avons aussi un rôle de vigie ». Aussi, Frédéric Dabi appréhende les médias comme « une intermédiation entre représentants et représentés ».

Frédéric Dabi souligne « l’importance de la représentativité et de la capacité à coller à la réalité du pays ». Relevant « la montée de la logique de la vanité du vote », il considère toutefois « qu’il reste de la magie, un imaginaire et l’envie d’y croire ». Face à ces pratiques qui se réinventent, « il serait intéressant de réfléchir à adapter le régulateur, qu’est le juge, aux nouvelles campagnes » considère Cyril Fergon à travers des pôles à l’échelle des région en ayant « accès à un juge pour stopper immédiatement une communication qui pollue le juge démocratique ».  Une manière de redonner de la densité au mot « démocratie ». 

A noter : #DigiLex est l’Observatoire des enjeux législatifs de la transformation digitale de notre société créé par La villa numeris sous l’égide, désormais, du sénateur Jean Hingray

:: Pour aller plus loin :

  • Le support de présentation de «quelques campagnes notables» réalisé par Treize Articles, à lire et à télécharger (.PDF / 10 Mo) 🔐 >> Voir

:: Nos grands témoins :

Frédéric Dabi

Directeur général adjoint de l'Ifop

 Cyril Fergon

Avocat, associé d’Arco Legal

Jean Hingray

Sénateur

Natacha Polony

Directrice de la rédaction de Marianne

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