Journée d’étude à Bruxelles

Journée d’étude à Bruxelles

Compte-rendu

Le DSA à l’épreuve des faits

Premier bilan du Digital service act: principaux enseignements, risques et perspectives

A la faveur de ses travaux visant à «Réaffirmer la liberté d’expression», dans le cadre d’un groupe de travail présidé par Thaima Samman et Pascal Beauvais, La villa numeris, en partenariat avec l'UCLouvain, proposait une journée d'étude en comité restreint réservé aux membres, professeurs et partenaires.

Cette journée s’est déroulée sur le site Saint-Louis de Bruxelles de l’UCLouvain, avec l’Observatoire de Recherche sur les Médias et le Journalisme (ORM), le Media innovation and intelligibility Lab (MiiL) et le Centre de recherche interdisciplinaire Droit, Entreprise et Société (CRIDES)

Sous les feux de l’actualité

«Le thème de la journée rejoint nos préoccupations, nos enjeux et nos positionnements», estime Benoît Grevisse, professeur à l’UCLouvain et conseiller du recteur pour la digitalisation de la communication et les nouveaux médias lors du mot d’accueil de la journée. Il est pour lui «nécessaire» de faire un bilan du DSA dans un contexte où les actualités sont nombreuses. Il évoque l’hommage qui s’est tenu le 7 janvier, 10 ans après les attentats de «Charlie Hebdo», «une irruption dans nos sociétés avec une attaque d’une violence extrême». Il déplore «une forme d’impuissance de nos Etats pour répondre à ces violences». Autre fait notable évoqué par le Professeur: la prise de position de Mark Zuckerberg avec notamment «la mise en cause du fact-checking et de la vérification». Il rappelle combien ces derniers sont «fondamentaux d’un point de vue éthique, de la recherche de la vérité d’intérêt général dans l’espace public».

La liberté d’expression comme principe

«Notre proposition de valeur c’est de réunir tous les acteurs concernés par la liberté d’expression sur la base d’un postulat clair: le principe c’est la liberté d’expression», explique Thaima Samman, fondatrice du cabinet d’avocats Samman qui note que «la liberté d’expression a explosé ces dernières années. En même temps, ont explosé les effets collatéraux de la liberté d’expression». Pour elle, «la liberté d’expression ce n’est pas l’eau tiède du plus petit dénominateur commun. La liberté d’expression c’est aussi la confrontation des idées, des positions, des théories dans le cadre délimité par la loi».

Un enchevêtrement de textes déploré

Promouvant «un modèle ouvert du numérique», David Lacombled, président de La villa numeris, déplore «un enchevêtrement des textes législatifs [qui] ne rend pas service aux acteurs économiques». Pour lui, «il faut remplacer la culture de la loi par celle de l’application de la loi». Point de vue que l’on retrouve dans le rapport intermédiaire du groupe de travail de La villa numeris visant à «réaffirmer la liberté d’expression» publié en septembre 2024. Celui-ci retient d’arrêter «l’inflation législative», explique sa coprésidente Thaima Samman, notant que «dans le droit positif, on a beaucoup d’instruments. Il faut se concentrer sur l’application de ces normes et ne pas céder». Elle recommande ainsi « d’éduquer», de former aussi bien les formateurs que le monde juridique et judiciaire. «Le juge doit être capable de prendre des décisions rapides». Elle souligne des écueils à éviter notamment dans la recherche d’un consensus, des contenus sont retirés et seuls restent des contenus mous. «C’est une censure qui ne dit pas son nom».

Une Europe attendue

Il est bien question de «valeurs», souligne Pascal Beauvais, professeur à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne qui évoque celles de «l’identité et du modèle européen démocratique» ainsi que de «l’Etat de droit qu’il faut préserver». En effet, c’est pour David Lacombled, «un continent [qui] peut proposer une voie alternative avec un modèle interopérable» qui se soucie de «la préservation de l’humain et de ses droits, de liberté d’opinion, de communication et de mouvement». Pour lui, «le numérique peut et doit retisser des liens pour éviter un individualisme et un repli sur soi. Croyons en nos forces! L’Europe peut et doit tenir son rang». D’ailleurs, Thaima Samman le rappelle: «Washington et Bruxelles sont les capitales du policy-making. L’Union européenne doit être forte pour se positionner comme une alternative».

Rassembler les acteurs Benoît Grevisse relève «la pertinence de poser aujourd’hui un regard interdisciplinaire». Professeur au centre de droit économique, centre de recherche interdisciplinaire Droit, Entreprise et Société (CRIDES) de l’UCLouvain, Alain Strowel évoque «plusieurs projets de recherche sur la désinformation» en cours. Ce sont «des sujets traités par des chercheurs en droit». Il met en exergue «à travers les tables rondes de la journée», l’importance de dialoguer. Cela s’inscrit dans la continuité du groupe de travail. Thaima Samman explique la démarche: «on a mis autour de la table les représentants des parties prenantes, des communautés humaines concernées par la problématique des contraintes de la liberté d’expression». Pascal Beauvais, coprésident du groupe le confirme: «pour les universitaires, participer à un tel groupe de travail est passionnant et indispensable». Pour lui, «l’Etat a besoin d’une démarche coopérative. L’université doit entrer de plain pied dans le débat». Il importe selon Pascal Beauvais de «mobiliser toutes les intelligences avec des valeurs».

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Première table ronde

Quels acteurs pour encadrer la liberté d’expression?

Une nouvelle articulation plateformes / organes extrajudiciaires / juge – autorités nationales

«La régulation du numérique ne date pas du DSA. Cela fait bien longtemps qu’on a mis en place des outils pour exercer une forme de contrôle», explique Valérie-Laure Benabou, professeure de droit à l’Université de Paris Saclay. Elle évoque «les débats vifs» et l’absence de consensus sur cette notion des deux côtés de l’Atlantique. Valérie-Laure Benabou fait ainsi référence à l’affaire Yahoo. Le juge Jean-Jacques Gomez a empêché les internautes français d’accéder sur la plateforme Yahoo à un site de vente aux enchères d’objets nazis. «Il y a 25 ans déjà, la question était au cœur de nos discussions». Elle cite également la directive sur la régulation du commerce électronique ou encore la régulation en matière de droits d’auteur.

La liberté d’expression fait couler de l’encre

«L’actualité est brûlante!» estime Valère Ndior, professeur de droit public à l’Université de Bretagne occidentale. Le DSA s’inscrit dans un contexte «où la liberté d’expression est fondamentale et essentielle», considère Bernardo Herman, responsable des services Contrôles, Consommateurs, Marché postal et Informatique à l’institut belge pour les services postaux et les télécommunications (IBPT). Cette instance est le digital service coordinateur (DSC) pour la Belgique. Pour la France, il s’agit de l’ARCOM, née de la fusion du CSA et d’Hadopi. Aussi, «le règlement opère une forme de déjudiciarisation au profit d’autorités administratives ou indépendantes», souligne Valère Ndior.

Communiquer et s’organiser «L’un des challenges est de trouver de la cohérence dans les textes» note Bernardo Herman relevant 2 axes. Il y a, d’une part, «des obligations transversales et superficielles applicables à tous» et d’autre part, «des obligations appelant une analyse du fonctionnement même de la plateforme» consistant par exemple à vérifier que la publicité est suffisamment identifiée, concevoir la plateforme «de manière à éviter de tromper les utilisateurs», «protéger les mineurs».

«A l’instar de tous les instruments juridiques. Une réglementation est un outil évolutif qui nécessite du temps», note Valère Ndior. «C’est tout un chemin», témoigne Bernardo Herman. «On construit nos capacités pour faire face à un possible tsunami d’injonctions. Le tsunami n’est pas encore arrivé. La Belgique – mais aussi les autres DSC – sont en phase d’évangélisation. Il faut communiquer avec elles, avec les autorités nationales», note-t-il. Bernardo Herman soulève des questions: à partir de quand reçoit-on une plainte? « L’individu veut-il remplir le formulaire d’identification nécessaire en termes de RGPD?

Se pose la question de l’adaptation des procédures. La coopération doit s’organiser». Il convient en effet, pour Valère Ndior de «codifier les pratiques».

Se dessine «une bataille» entre innovation et régulation. La dynamique existe. On doit participer. On a des ingénieurs au niveau de l’IBPT qui se spécialisent ou ont déjà un background en data science. On doit livrer cette bataille!» Bien entendu, «les risques juridiques de contestation» sont là. «C’est un risque avec lequel on vit en permanence, même dans d’autres matières comme la télécommunication», témoigne Bernardo Herman. La question des manipulations de l’information est évoquée à travers l’exemple des élections en Roumanie. «Les Roumains sont très préoccupés tout comme la Commission. Ils ont demandé aux DSC de voir l’effet sur les Roumains présents dans les Etats membres de l’Union européenne. Les risques font l’objet d’une analyse», explique Bernardo Herman. Valère Ndior évoque le risque d’«une fragmentation croissante des réseaux sociaux avec des plateformes de plus en plus spécialisées, cloisonnées et hermétiques. C’est une vraie question».

Aréopage

«Un aréopage d’acteurs publics et privés» est relevé par Valère Ndior au sujet du DSA qui marque «une évolution de la réglementation européenne qui fait peser des obligations sur les acteurs du numérique. Le DSA fait apparaître de façon plus explicite des acteurs privés et publics dont les rôles relèvent de la collaboration, de la complémentarité et parfois même de la friction».

Il évoque «la nécessité de former des personnes pour analyser les plateformes. On est face à des écosystèmes colossaux». Valérie-Laure Benabou évoque effectivement «la puissance économique» que représente Meta, au sujet de la prise de parole récente de son fondateur.

Valère Ndior explique que le trust de Meta a créé «un organe chargé de mettre en œuvre l’article 21 du DSA»: Appeals Centre Europe (ACE). Les utilisateurs sont également parties prenantes en contribuant avec «des signalements, la modération des contenus». Aussi, « la Commission européenne a un rôle central, mène des enquêtes et fournit des lignes directrices pour la mise en œuvre du DSA. On attend d’autres lignes directrices en 2025 notamment sur les signaleurs de confiance.», explique-t-il.

Focus sur le signaleur de confiance

«La modération des contenus est une activité humaine et technique notamment algorithmique», explique Valère Ndior. «Le statut juridique du signaleur de contenu est en cours d’élaboration en France», note-t-il, expliquant que lorsque l’entité est désignée, elle a un traitement prioritaire. Pour Valérie-Laure Benabou, «c’est un travail de professionnel d’aller chercher l’information litigieuse et problématique».

Aussi, Bernardo Herman interroge la fiabilité de ces notations. Il évoque l’évaluation dont ont fait l’objet les «trusted flaggers» qui sont «experts dans leur matière», «indépendants par rapport aux plateformes». Pour lui, «il faudrait réfléchir à une certification de ceux qui font un signalement. Le rôle des chercheurs pourrait être fondamental».

Thaima Samman rappelle la notion clé de «confiance», sans elle, «on aura du mal à trouver des signaleurs de confiance». D’ailleurs, Bernardo Herman ajoute: «on attend toujours des lignes directrices de la Commission européenne. Les associations peuvent-elles être signaleurs de confiance?»

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Deuxième table ronde

Supervision, contrôles et responsabilités des acteurs

De nombreuses plateformes concernées par la la mise en œuvre du DSA

«Une année très dense de mise en œuvre du DSA». Rita Wezenbeek, directrice de la DG Connect, Platforms Policy and Enforcement (CNECT.F) de la Commission européenne évoque ainsi les procédures à l’encontre de 25 plateformes en ligne. «On n’exclut pas d’en inclure d’autres». Leur objet varie. Il peut s’agir d’un réseau social, d’une application, d’une market place… «C’est très large». X, AliExpress, Meta, Instagram ont, par exemple, été concernées pour des motifs variés à l’image de «contenus illégaux» ou ayant trait à «la protection de mineurs». Aussi, dans ces demandes formelles d’informations, «l’ensemble des domaines du DSA ont été concernés» comme à Meta concernant «l’intégrité des élections».

Enjeux géopolitiques

Rita Wezenbeek évoque les procédures contre des contenus diffusés sur Twitter dans le contexte de l’attaque du Hamas contre Israël. Après l’entrée en vigueur du DSA, en octobre 2023, «l’Europe et le monde ont été inondés de nombreux discours d’information et de haine». Les élections européennes ont été le sujet d’attention de la Commission européenne. Rita Wezenbeek rappelle l’importance de vérifier les possibles bots russes sur Meta. La Commission européenne a porté son attention sur les élections en Roumanie où l’un des candidats récoltait au départ 2 à 3% des intentions de vote et «22% lors des élections» avec un compte «largement boosté par les influenceurs». Une enquête est en cours. «On a ordonné à TikTok de garder ces informations pour 2 ans en Roumanie, Irlande, Russie et Allemagne pour qu’on analyse ce matériau. Aucune conclusion n’est tirée », explique-t-elle.

Mathilde Adjutor, Senior Policy Manager de Computer & Communications Industry Association relève comme point d’attention que «les autorités nationales ont plus ou moins de moyens» alors que le rôle des autorités est bien le même dans le board».

Pour Enguerrand Marique, chargé de cours en droit de l’information et de la communication de l’UCLouvain, «l’Union européenne doit se renforcer en souveraineté numérique. C’est un message clé qui doit rester à l’esprit dans la mise en œuvre».

Pour les utilisateurs

S’il servait bien à certifier la véracité d’un compte sur Twitter, le «blue check» a évolué sur X et son objet n’est plus le même. «C’est potentiellement trompeur», estime Rita Wezenbeek. Elle évoque la protection des mineurs avec Meta et Instagram. En effet, des photos circulent en nombre aux Etats-Unis «prises par des adolescents eux-mêmes». Elle évoque les risques liés «aux éléments addictifs» notamment sur TikTok. «On leur a demandé de vérifier les risques». La plateforme est aussi au cœur du débat outre-Atlantique. «Un miroir entre les Etats-Unis et l’Union européenne» sur la trajectoire de l’application. Elle note d’ailleurs que sur cette application «les mineurs sont confrontés à de nombreux éléments de contenus similaires qui les mettent dans un entonnoir». «C’est un environnement qui a beaucoup de data. Les plateformes informent leurs consommateurs qu’ils vont garder leurs données», note Rita Wezenbeek.

Le nombre d’utilisateurs des plateformes est également surveillé de près. «Le nombre d’utilisateurs est important pour les amendes. On a développé une méthodologie du nombre d’utilisateurs», explique Rita Wezenbeek précisant que les bots sont bien notifiés.

De la clarté

«Le DSA vient amender la directive e-commerce, qui a elle-même ses problèmes de mise en œuvre à la suite de la jurisprudence intransigeante de la CJUE. La mise en œuvre de ces deux législations requiert une réflexion en parallèle.», estime Enguerrand Marique. D’ailleurs, Mathilde Adjutor se dit «surprise par l’importance du travail et de sa mise en œuvre» et cela dans «un secteur de plus en plus régulé. On aimerait avoir une pause législative pour qu’on puisse mettre en œuvre». Comparant le DSA à un puzzle, elle estime «qu’on est toujours en attente de certaines pièces sur les signaleurs de confiance et l’organisation des interfaces». Elle souhaite «avoir de plus en plus ce dialogue pour mieux comprendre ce qui est attendu. Qu’est-ce qu’une conformité satisfaisante? On voudrait plus de clarté et de sécurité juridique pour continuer de travailler sur la conformité». Pascal Beauvais, professeur à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne et coprésident du groupe de travail, qui préside la session, le constate: «on voit une demande de précision des règles de la part des acteurs économiques». Pour Mathilde Adjutor, afin d’«être sûrs des articulations des textes et des interprétations unifiées, on pose ces questions. ». Enguerrand Marique relève qu’ «il y a sans doute un besoin d’équilibre à obtenir pour les acteurs».

«La flexibilité est nécessaire. C’est un choix délibéré de laisser de la flexibilité. On pense que les règles sont claires. Je n’exclurais pas, pour certains points, la nécessité de règles de conduite» considère, quant à elle, Rita Wezenbeek qui souligne combien «la transparence est un élément clé du DSA».

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Troisième table ronde

Les nouveaux défis informationnels

La place des médias et de l’intelligence artificielle face à la guerre de l’information, et aux ingérences étrangères

«Affronter les contenus illégaux est un vrai défi», témoigne Charlotte Michils, secrétaire générale de la VVJ, Vlaamse Vereniging van Journalisten, rappelant que cette illégalité qui vaut pour un pays A ne vaut pas nécessairement pour le pays B. «Il y a beaucoup de zones grises». Dans le cadre du DSA, les journalistes ont leur part à jouer. «Des journalistes regardent la possibilité de rejoindre les trusted flaggers», explique-t-elle. Evoquant «la grande tradition de la presse libre» en Belgique, elle rappelle qu’«on doit protéger les journalistes». Charlotte Michils met en lumière la question de l’anonymat. D’ailleurs, Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF, déplore l’impossibilité en Belgique de «lever l’anonymat» alors que des procédures sont souhaitées «pour lever un pseudo qui agresse et menace une personnalité d’antenne».

Le rôle clé des journalistes

Pour Antonin Descampe, professeur en innovation médiatique à l’Ecole de Journalisme de Louvain (UCLouvain), il serait judicieux de «favoriser une plus grande collaboration entre les médias pour peser dans le débat public et avoir une masse critique d’utilisateurs». Il incite à «la mutation des organisations et à la formation des journalistes pour s’adapter aux enjeux technologiques». Autre point proposé: «la certification de contenus» pour rendre davantage visible le travail humain. Et cela d’autant plus dans un contexte où «la majorité des jeunes s’informent sur les réseaux sociaux» explique Jean-Paul Philippot citant le Reuters Institute qui a posé cette question: «quand vous cherchez une information en ligne, à quelle source allez-vous?» Il présente les réponses: «Sur X, la source majoritaire est un journaliste ou une source d’un éditeur reconnu comme professionnel de la production de l’information. Sur TikTok, le journaliste ou cette source d’information arrive en 3ème position».

La liberté de presse secouée

«Traditionnellement, on considère la liberté de la presse comme une liberté d’entreprendre. Or le cumul d’éléments rend la situation périlleuse», déplore Benoît Grevisse, professeur à l’Ecole de Journalisme de Louvain qui préside la session. Il évoque notamment «le bouleversement des revenus économiques pompés par les plateformes», « la manière dont la liberté d’expression est secouée» et «le secret des affaires de plus en plus agité». Il regrette que «le respect des personnes et de la vie privée sont mis en cause par les pratiques que l’on peut trouver sur des plateformes». Aussi, Alain Strowel, professeur en droit du numérique et de la communication à l'UCLouvain, rappelle que «la protection des personnes est centrale. Le droit n’est pas outillé pour protéger la vérité. Le droit peut assurer une forme d’indépendance des journalistes». Jean-Paul Philippot explique qu’«en 2024, il n’y a jamais eu autant de journalistes tués dans leur métier ni autant de journalistes agressés».

Fact-checking

En 2024, le Forum de Davos a considéré la désinformation comme l’un des plus grands risques, explique Jean-Paul Philippot soulignant «l’interaction entre désinformation, polarisation et mésinformation». Pour Charlotte Michils, les journalistes sont pleinement concernés par les fact-checkers. « Ce qui se passe actuellement est une alerte. Un fact-checker est un vrai spécialiste. Les fact-checkings issus de la GenAI ne sont pas assez bons pour le moment. Alain Strowel rappelle que «l’annonce de la suppression du fact-checking concerne «les Etats-Unis pour le moment. Mark Zuckerberg veut plaire à Donald Trump». «On s’éloigne d’une conception de l’espace public comme conception de la démocratie. Cette conception idéale est mise à mal pour des raisons de désordres informationnels. Le vent politique a tourné. Les grandes plateformes pour des raisons économiques s’affranchissent de la responsabilité éditoriale. Elles ont vu l’opportunité de se départir de cette responsabilité», estime Antonin Descampe, professeur en innovation médiatique à l’Ecole de Journalisme de Louvain (UCLouvain). Pour Jean-Paul Philippot, «se succèdent des interventions à caractère politique». Il évoque notamment la prise de parole de Mark Zuckerberg. Meta compte 411 millions d’utilisateurs actifs en Europe.

Le droit mais pas uniquement Pour Jean-Paul Philippot, le DSA est «une brique, ce n’est pas suffisant. Les actes posés par l’Europe sont nécessaires et utiles mais pas suffisants». «Il serait intéressant de faire émerger des grandes plateformes alternatives en Europe», estime Antonin Descampe. «Les troubles de l’information sont variés. Ils ne sont pas tous à traiter par le droit. Il y a la formation et l’éducation aux médias. Le DSA se concentre sur l’instrument de propagation», explique Alain Strowel. Afin que les journalistes «aient la faculté de continuer à faire notre travail d’information», Jean-Paul Philippot insiste sur l’importance «des rédactions financièrement indépendantes », «la capacité de connecter, de toucher tout le monde» et sur une notion clé, «la confiance».

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Conclusion

Un nécessaire dialogue

Au cours de la séance de restitution ouverte, David Lacombled et Thaima Samman reviennent sur les notions clés abordées dans la journée d’étude et les mettent en perspective avec la volonté de garantir une pleine liberté d’expression.

«L’union fera la force!», estime David Lacombled, président de La villa numeris en concluant cette journée et en invitant à «trouver des tiers de confiance». En effet, pour Thaima Samman, fondatrice du cabinet Samman et coprésidente du groupe de travail de La villa numeris visant à «réaffirmer la liberté d’expression», il s’agit de «faire dialoguer des personnes qui viennent de mondes différents».

Dialoguer est clé puisque sinon, «à force de rien dire on ne résout rien», estime-t-elle prônant «la discussion» et considérant que l’on peut «trouver des explications dans des équilibres». Thaima Samman précise ainsi que la liberté d’expression consiste à «accepter la confrontation. On n’encadre pas la liberté d’expression. Ce sont ses limites qui doivent être encadrées et mieux organisées».

Relisant la journée d’étude, David Lacombled loue «des journalistes inventifs et imaginatifs » afin de «mettre à profit la technologie pour reprendre langue dans le vaste récit du monde ».

Des preuves Evoquant la mémoire du web, David Lacombled explique que les contenus en langue française ne représentent que 4% de la masse. «Parmi ces 4%, seuls 3% représentent des contenus de qualité. Les contenus de qualité ne peuvent pas être hors de ces récits». Il cite ainsi le Japon où «tout est ouvert».

Pour David Lacombled, «il est nécessaire d’aller construire des registres dans lesquels est marquée l’origine des contenus. Marquer le réel à la source permet d’avoir la contremarque des contenus, un vaste registre et d’opposer au faussaire une preuve intangible. Il nous faut nous engager dans un récit positif de l’information pour garantir la liberté d’expression». Le numérique y joue un rôle majeur. D’ailleurs, «pour gérer les problèmes des droits fondamentaux et les médias, il faut maîtriser le numérique. Les outils numériques nous permettront demain de gérer la masse», explique Thaima Samman.

Bien consommer de l’information

Reprenant le modèle de la musique évoqué lors de la journée d’étude, David Lacombled regrette qu’en raison de nos usages, celui-ci «rétrécit la réalité». Il évoque ainsi l’essai «Le mal info – Enquête sur les consommateurs de médias» de Denis Muzet (Editions de l’Aube, 2006) où la consommation de l’information s’assimile à «la consommation alimentaire» et notamment des fast-foods.

Pour le président de La villa numeris, «il s’agit d’inventer de nouvelles voies de rémunération, de porter la culture de notre beau continent qui reste le grenier de la culture à travers le monde». L’Europe est bel et bien attendue.

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:: Les intervenants

  • Mathilde Adjutor, Senior Policy Manager, Computer & Communications Industry Association
  • Pascal Beauvais, professeur agrégé des facultés de droit à l'Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne
  • Valérie-Laure Benabou, professeure de droit à l’Université de Paris Saclay
  • Antonin Descampe, professeur en innovation médiatique à l’Ecole de Journalisme de Louvain (UCLouvain)
  • Benoît Grevisse, professeur à l’UCLouvain et conseiller du recteur pour la digitalisation de la communication et les nouveaux médias
  • Bernardo Herman, responsable des services Contrôles, Consommateurs, Marché postal et Informatique à l’IBPT
  • David Lacombled, président de La villa numeris
  • Enguerrand Marique, professeur de droit de l’information et de la communication de l’UCLouvain
  • Charlotte Michils, secrétaire générale de la VVJ, Vlaamse Vereniging van Journalisten
  • Valère Ndior, professeur de droit public à l’Université de Bretagne occidentale
  • Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF
  • Thaima Samman, avocate, fondatrice du Cabinet Samman, co-présidents du groupe de travail visant à «Réaffirmer la liberté d’expression»
  • Alain Strowel, professeur à l’UCLouvain, à l’Université Saint-Louis – Bruxelles
  • Rita Wezenbeek, director, European Commission, DG Connect, Platforms Policy and Enforcement (CNECT.F)

:: Pour aller plus loin

  • Notre rapport intermédiaire. 12 recommandations pour apporter des réponses humaines et politiques, et faire émerger des solutions technologiques >> Lire
  • Nos travaux. Compte-rendus de nos réunions et publications >> Lire