Cinq ans de lutte contre la désinformation

Cinq ans de lutte contre la désinformation

:: Rencontre #DigiLex du 16/11/22 | Palais du Luxembourg | Compte-rendu

Concilier liberté et responsabilité

À quelques jours de l’ouverture des États Généraux du droit à l’information, La villa numeris pose les bases d’une réflexion et d’actions pour porter la vitalité du débat démocratique

Alors que notre think tank ouvre une nouvelle saison de travaux consacrée à la fabrique de l’opinion, notre Observatoire des enjeux législatifs de la transformation digitale #DigiLex passait en revue les dispositifs existants de lutte contre la désinformation.

La France est largement dotée de mesures législatives, réglementaires ou préconisées dans la lutte contre les manipulations de l’information. Regrettant «une dissémination des moyens», David Lacombled, président de La villa numeris souhaite «pointer ce qui fonctionne, ce qu’il faut encourager et les éventuelles limites des dispositifs en confrontant les avis d’experts, de citoyens et du législateur.»

Après la loi contre la manipulation de l’information, la création du «service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) ou encore la remise du rapport «Les lumières à l’ère numérique», cette séance de travail a été l’occasion de revenir sur les dispositifs existants, parfois peu utilisés et d’ouvrir de nouvelles propositions.

Le vouloir

«Je suis pour que l’on fasse des audits très réguliers de Wikipedia à Twitter en posant ces questions : que faites-vous pour l’information aux médias ? Que faites-vous pour l’éducation ? Au niveau européen, on a développé un cadre de compétence pour l’éducation à l’information. Ce cadre de compétence n’est pas encore appliqué par tous», décrypte Divina Frau-Meigs, présidente de l’ONG Savoir Devenir. Soulignant l’implication du CLEMI ou celle du ministère de la Culture, elle constate que «pour le moment, c’est encore très aléatoire sur le territoire ; donc vecteur d’injustices sociales».

Pour Bertrand Warusfel, avocat, professeur à la faculté de droit de l’Université Paris 8 qui enseigne les libertés fondamentales, «on attend une réponse sur ces sujets comme sur l’éducation aux médias. L’enseignement supérieur n’a pas pris de grandes mesures sur le sujet». Bertrand Warusfel évoque plusieurs actions possibles liées au service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) : «une action juridique sur la base du code pénal et une action de riposte numérique» notamment dans le cas de «puissances étrangères hostiles aux intérêts de la France». Il relève ainsi que ce sont «moins les moyens juridiques et techniques qui manquent que la volonté de s’en servir».

«Il y a un grand principe : le contrôle de la liberté de l’expression est effectué a posteriori : il ne faut jamais l’oublier» rappelle le député Bruno Studer évoquant la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, dont il a été rapporteur. «Nous avions créé un référé relativement peu utilisé et renforcé le pouvoir du CSA devenu l’ARCOM». Aussi, Bertrand Warusfel, évoquant les recommandations de la commission «Les lumières à l’ère numérique» considère que «les pouvoirs de l’ARCOM nous semblent encore très modestes». Il propose d’ «en faire une instance pouvant être saisie par tout citoyen qui s’estimerait mis en cause ou victime d’un contenu préjudiciable et de donner à l’ARCOM la capacité de contacter la plateforme concernée. Elles feront ce qu’on demandera ou obligera à faire».

La vigilance est de mise. D’ailleurs, David Lacombled, président de La villa numeris, relève que «VIGINUM a détecté 12 tentatives d’ingérences étrangères dont 5 sur la présidentielle». Le député Bruno Studer explique : «l’élection présidentielle française a été l’objet de toutes les craintes. Elle a été relativement épargnée par les fausses informations de grande ampleur (ce qui n’a pas été le cas en Italie qui a davantage été le théâtre de fausses informations». Il note également que «25% de la population du Mali ne s’informe qu’avec RT ou Sputnik».

Contre toute attente «Il faut aller vers les seniors», incite Divina Frau-Meigs, évoquant leur fragilité. «Ce sont eux qui désinforment, amplifient l’information la plus toxique par idéologie et par manque de culture numérique». D’ailleurs, elle rappelle que ce sont bien les seniors qui «votent le plus et vont grandir en nombre». «La fabrique de l’opinion est importante. En tant qu’élus, nous sommes souvent pourris par les fake news sur nous ou sur les projets que nous portons. On peut subir du harcèlement. Parfois, la presse ne rehausse pas le niveau», constate le sénateur Jean Hingray.

«Les commentateurs ne représentent qu’1 à 2% de l’audience globale d’un média» relève Mathias Blandin de Semiologic, qui propose une plateforme de discussions web pour les sites média. «Et seul 1% de ces 1% poste plus de 3 commentaires par jour. Il est facile de les traquer». Il explique que «la problématique vient souvent d’un petit noyau très actif et très engagé. C’est un retraité isolé avec un faible pouvoir d’achat qui passe la journée à tout lire».

«Il y a une grande différence entre un complotiste senior et un vrai désinformateur. Un complotiste est victime de la désinformation : il n’a rien inventé. Il a réagi à de fausses nouvelles que quelqu’un a délibérément mis dans le système» relève Bertrand Warusfel soulignant qu’«il y en a qui font métier de désinformer pour des raisons idéologiques, politiques et mercantiles».

Faire œuvre d’éducation

«Favoriser l’esprit scientifique de la vérification» avec notamment «la validation par ses pairs», est clé pour Bruno Studer. Il importe pour Divina Frau-Meigs de «travailler en tandem avec les enseignants et les documentalistes dans la longueur». Elle revient sur la notion de «liberté d’expression» évoquant «un détournement manifeste». Divina Frau-Meigs le souligne : «il y a un besoin du contre-discours et de mise en confrontation des sources. On ne peut pas aller vers quelqu’un qui propose de la désinformation avec nos sources. Il faut instiller des doutes dans ses sources, lui redonner l’instinct de vérifier ses sources». Delphine Gatignol, directrice de la solution Newsback, qui propose de comprendre la chronologie de l’information, considère que «pour lutter contre la désinformation, si on connaît la source, on peut émettre un jugement» Elle précise qu’il est important de savoir d’où vient l’information et «de quand elle date».

Apportant son «soutien aux professionnels de l’information» et rappelant l’importance de «l’éducation y compris populaire», Bruno Studer réaffirme l’importance de la loi qui interdit le portable à l’école et au collège. «Je milite pour que l’éducation aux médias et à l’information soit une discipline de la maternelle à la terminale» affirme Divina Frau-Meigs. Un sujet entendu par le sénateur Jean Hingray qui a bien noté l’importance de faire faire de l’éducation aux médias et à l’information «une vraie discipline à l’école et à l’université». «On a beaucoup d’acteurs et d’institutions et on n’arrive pas à se poser entre nous. Tout fonctionne en silo. On a besoin de créer une instance de coordination incluant le ministère de la Défense» note Divina Frau-Meigs.

Cette nouvelle saison de travail pour La villa numeris débute résolument avec convictions et initiatives. David Lacombled expose les principaux travaux auxquels va s’atteler la commission de travail. Plusieurs rencontres thématiques sur les enjeux des médias dans la société (diversité, climat, etc.) seront organisées. Les bases d’une fresque de l’information, à l’instar de ce qui existe sur le climat, vont être posées ainsi que le projet de création d’un label. Il entend également «faciliter les échanges entre les pouvoirs publics, les citoyens et les entreprises» et annonce que «La villa numeris va renforcer ou nouer des liens avec des acteurs européens, think tanks et universités». Plus que jamais, l’invention d’un nouveau récit de l’information relève de l’engagement de tous ses acteurs.

:: Nos grands témoins

  • Mathias Blandin, fondateur de Semiologic
  • Divina Frau-Meigs, présidente de l’ONG Savoir Devenir
  • Jean Hingray, sénateur
  • Delphine Gatignol, directrice de Newsback
  • Bruno Studer, député, rapporteur de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information en 2018
  • Bertrand Warusfel, avocat, professeur à la faculté de droit de l’Université Paris8

:: Pour aller plus loin

  • Loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information >> Lire
  • VIGINUM
    • Décret du 13 juillet 2021 portant création du «service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères» >> Lire
    • La réaction de La villa numeris >> Lire
    • Premier rapport d’activité du 25 octobre 2022 >> Télécharger
  • «Les lumières à l’ère numérique»
    • Rapport de janvier 2022 >> Télécharger
    • Audition de Gérald Bronner par la Commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale le 2 novembre 2022 >> Regarder
  • Solutions
    • Newsback, pour tracer l’origine des informations, évaluer leur authenticité >> Découvrir
    • Graphcomment, solution de socialisation de sites web développée par Sémiologic >> Découvrir