Spéciale Présidentielle 2022

Spéciale Présidentielle 2022

Compte-rendu | Digital Mappemonde | 6 avril 2022

Premier bilan d’une drôle de campagne

Impressions et analyse d'une campagne hors norme à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle

A quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, La villa numeris organisait pour ses membres à un petit-déjeuner de campagne. Un format singulier qui s’est tenu chez son partenaire Onepoint pour dresser l’état des lieux de cette campagne à la fois fulgurante et bruyante.

Au rythme des crises tant sanitaires que géopolitiques, la campagne pour élire le prochain chef de l’Etat s’est révélée en demi-teinte et, à de nombreuses reprises, bien décevante. Regard de trois témoins privilégiés qui connaissent bien les rouages de la conquête de l’Elysée sur cette campagne tout sauf ordinaire.

De la frustration

« Alors qu’il s’agit normalement d’une période grisante et excitante, cette campagne s’est révélée frustrante » note Adélaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA Opinion. Dans le cadre de la grande conversation initiée par le laboratoire d’idées Terra Nova, BVA a constitué une communauté citoyenne de cinquante citoyens français. « Le champ lexical du silence et du bruit » se détache au fur et à mesure des échanges, explique Adélaïde Zulfikarpasic. La campagne est, de ce fait, perçue comme « assourdissante » ou encore « bruyante ». Elle est d’ailleurs, « la pire que j’ai eu à connaître en tant qu’observateur ou acteur », considère Gaspard Gantzer, président et fondateur de Gantzer.

« La campagne n’a pas été à la hauteur des enjeux mis en lumière par la crise sanitaire comme l’enseignement » déplore Adélaïde Zulfikarpasic. « Les Français sont intéressés par le pouvoir d’achat et l’environnement. Et pour autant, ces thèmes ne sont pas débattus », note Gaspard Gantzer.

« Le président de la République a décidé de ne pas être candidat début février. Cela l’a condamné à faire une campagne très courte, voire pas de campagne », constate Gaspard Gantzer évoquant l’unique meeting d’Emmanuel Macron. « On a le sentiment que la campagne débute depuis quelques jours » relève Frédéric Micheau, Directeur général adjoint d’OpinionWay. Différentes temporalités se sont succédé : la crise du Covid-19, l’attente de la candidature du chef de l’Etat, la Guerre en Ukraine qui a « déplacé l’attention pendant trois ou quatre semaines », relève Frédéric Micheau.

« La campagne rétrécie suscite de la frustration » décrypte-t-il rappelant que le rôle d’une campagne vise « la mobilisation et l’attention des citoyens ». L’indice de participation au 1er tour est de 68% d’après le baromètre OpinionWay Kéa pour « Les Echos ». En 2017, d’après le ministère de l’Intérieur, la participation était de 77,8%. « Une campagne de réélection suscite généralement un intérêt plus faible », rappelle Frédéric Micheau évoquant « Le Point » titrant en 1981 : « Pourquoi la France baille ».

Un bon positionnement

« Aujourd’hui, dans le débat public, si l’on n’est pas très différent des autres dans son positionnement, dans son image, on ne se démarque pas et les gens n’arrivent à qualifier la candidature », constate Gaspard Gantzer, auteur de « La politique est un sport de combat ». Il évoque ainsi « le problème de positionnement et d’image de Yannick Jadot » qui a un positionnement sur « l’écologie réformiste ». Pour Gaspard Gantzer, lorsque l’on est écologiste, on peut être en colère « à la manière de Greta Thunberg ou de Sandrine Rousseau » ou bien « s’inscrire dans une écologie joyeuse et positive comme Daniel Cohn-Bendit pour les élections européennes ». Adélaïde Zulfikarpasic soulève d’ailleurs « le rapport ambigu des citoyens avec l’écologie. S’il y a une vraie prise de conscience des enjeux écologistes, il n’y a pas, pour autant, de passage à l’acte».

« Marine Le Pen a fait une excellente campagne. Elle a fait évoluer son positionnement politique pour ne plus apparaître comme une candidate d’extrême droite mais comme une candidate du pouvoir d’achat. Elle est en parfaite connexion avec les attentes de l’opinion » relève Gaspard Gantzer. Pour Adélaïde Zulfikarpasic, co-auteure de « Les Français sur le fil de l’engagement », « Marine Le Pen a fait la meilleure campagne. Elle a compris les enjeux et s’est emparée très tôt du pouvoir d’achat. C’est un thème central pour les Français qui évoque la dignité, la survie et la condition de chacun et la place dans la société. Eric Zemmour a lissé l’image de Marine Le Pen ».

Gaspard Gantzer évoque « les visions exprimées » par plusieurs candidats. Si pour lui, « en 2017, Emmanuel Macron avait une vision très claire, il n’a pas réussi, cette fois, à proposer un récit ». Anne Hidalgo « partie avec un socle potentiel très faible, n’a ni vision aspirationnelle ni aspérité » constate Adélaïde Zulfikarpasic. « Je crois en l’idéologie » affirme Gaspard Gantzer relevant que « les candidats qui font preuve de cohérence programmatique finissent par se distinguer ». Pour Adélaïde Zulfikarpasic, « les primaires sont les conséquences de l’affadissement idéologique ».

Quid de la nouveauté ?

Regrettant « une campagne sous l’éteignoir », David Lacombled rappelle les travaux de La villa numeris, en partenariat avec treize Articles, qui avait notamment mis en évidence « le mariage entre réseaux sociaux, intelligence artificielle et chatbot » lors de l’élection présidentielle aux Etats-Unis. Le président constate non seulement que « les audiences TV sont en berne » mais que « les réseaux sociaux n’ont pas pris le relais comme on pouvait l’espérer » en dehors « des campagnes d’Eric Zemmour et de Jean-Luc Mélenchon particulièrement préparé à porter la controverse ». Même si « un univers parallèle des chroniqueurs s’est développé sur Twitch ou YouTube, les candidats, à de rares exceptions, n’ont pas investi les plateformes de vidéos ». Pour David Lacombled, « les candidats ont fait le pari de la télévision pour toucher des électeurs qui vont voter et non celui du numérique qui touche des jeunes qui s’abstiennent » pour beaucoup d’entre-eux.

« Beaucoup d’essais de créativité mais cela reste relativement confidentiel » constate Gaspard Gantzer. Il relève le nombre important de débats « mais sans le président de la République ». Selon Frédéric Micheau, cette décision d’Emmanuel Macron conforte « une rente institutionnelle - ce n’est pas un candidat comme les autres -, mais cela renforce aussi son image d’arrogance, de condescendance vis-à-vis des électeurs. C’est une campagne a minima ». Le contexte géopolitique et l’absence de précédent sont ainsi évoqués en guise de justification.

« Si on réfléchit au précédent, il n’y aurait pas eu de débat en 1974, pas eu de primaires ensuite. Le président aurait eu intérêt à la confrontation. Emmanuel Macron est sorti par le haut du conflit des gilets jaunes car il a accepté la confrontation démocratique », décrypte Gaspard Gantzer.

« Dans une campagne présidentielle, se prévaloir du soutien des jeunes un symbole extrêmement fort. C’est une cible très importante en marketing politique », explique Frédéric Micheau, auteur de l’essai « Le sacre de l’opinion ». « La campagne électorale est faite pour innover et inventer » considère-t-il, rappelant que « le second tour change tout. On entre dans une nouvelle campagne ». Elle porte l’espoir de parler politique et prendre de la hauteur.

:: Nos grands témoins :

Adélaïde Zulfikarpasic

Directrice
BVA Opinion

Frédéric Micheau

Directeur général adjoint
OpinionWay

Gaspard Gantzer

Président et fondateur
Gantzer

 

:: Pour aller plus loin :

  • Les Français sur le fil de l’engagement, Adélaïde Zulfikarpasic et Anne Muxel (L’Aube) >> Acheter
  • Le sacre de l'opinion - Une histoire de la présidentielle et des sondages, Frédéric Micheau (Le Cerf) >> Acheter
  • La politique est un sport de combat, Gaspard Gantzer (Hachette) >> Acheter