B Smart | Smart Tech | Le Rendez-vous éco-numérique
Réseaux et débit: telco, GAFA, qui doit payer?
Face aux partisans du principe ancien de neutralité du net, les opérateurs de télécommunication aimeraient partager les coûts de réseau avec les géants du numérique
Dans sa chronique mensuel, dans l’émission Smart Tech, présentée par Delphine Sabattier, sur B Smart TV, David Lacombled, président de La villa numeris, estime «inévitable, la consolidation du marché [des télécoms] si on veut conserver une qualité de réseau».
Delphine Sabattier: On va aborder cette question très sensible de la rémunération des transports du haut-débit filaire comme mobile alors qu'on a un trafic qui ne cesse de croître. Et la question, c'est entre ces plateformes numériques qui occupent nos réseaux et les opérateurs de télécommunications, qui doit payer?
David Lacombled: Je vais vous le dire. Le client payera. Vous, moi, nous. Parce que c'est une affaire aussi ancienne que le web. Il faut bien le voir. Où effectivement, on a des opérateurs de télécommunications qui aimeraient bien avoir une contribution proportionnée, ce qu'on appelle le FairShare en anglais. Je paye en fonction de ce que j'utilise, mais qui est contraire à la neutralité même du net, qui est finalement un peu l'utopie du début de l'Internet avec une égalité de traitement dans l'accès et dans les flux. Avec cette idée qui était que Internet devait être accessible par tous. Alors c'est vrai que les réseaux ont été un peu débordés par leur succès et que la marge de progression est colossale. Et ensuite, on est sur des réseaux et il faut bien voir que quelle que soit la nature du réseau, on a toujours cette problématique, qu'on retrouve même sur des routes. Plus vous avez des grandes routes, plus il y a des camions qui viennent dessus et plus vous avez de camions, plus il faut agrandir les routes et les allonger, et avoir des périphériques toujours plus loin, sinon vous risquez l'engorgement. Et puis on voit mal comment un retour en arrière serait possible. On ne va pas passer de la 4G à la 2G. D'ailleurs ce réseau va bientôt s'éteindre ou du débit filaire à l'ADSL. Je vous mets au pari de réutiliser un modem 56K. Une minute par page minimum de téléchargement...
Delphine Sabattier: C'est vrai que je pense qu'on n'aurait plus la patience et puis ça ne marcherait pas de toute façon. Mais alors donc, comment on fait? Parce qu'on a donc ces opérateurs qui aimeraient bien avoir ces plateformes très gourmandes en débit, participer davantage au réseau.
David Lacombled: Les gros pourvoyeurs, c'est qui? C'est simple, c'est YouTube, Netflix, Facebook et Amazon. Si vous y ajoutez Akamaï qui est un service de cloud de fichiers, selon l'ARCEP, vous avez là 50 % du trafic.Et vous ajoutez 25 % avec les sites pornographiques. Le quart restant, c'est l'intégralité des autres sites Web, solutions et applications du reste du monde. Et effectivement, à partir du moment où les opérateurs de télécommunications ont renoncé à devenir eux-mêmes des distributeurs de vidéos, rappelez-vous de OCS en particulier, ils ont renoncé à une certaine forme de retour sur investissement. D'autant plus que les sommes en jeu sont colossales. Selon l'ARCEP, l'année dernière, ce sont près de 15 milliards d'euros qui ont été investis par les quatre opérateurs français dans la qualité de leur réseau. Alors certes, la qualité est au rendez-vous. On peut rappeler les opérateurs Orange, SFR, Bouygues et Free et avec en France des tarifs qui sont plutôt moins chers que dans le reste de l'Europe. Néanmoins, il y a des investissements à prendre en charge et on comprend que la tentation soit grande d'aller partager la note.
Delphine Sabattier: Sauf que les plateformes ne veulent pas en entendre parler…
David Lacombled: Non, parce que tout le monde se mord un peu la queue dans cette affaire et se tient par la barbichette. Parce que sans réseau, pas de contenu et sans contenu, pas de réseau. Or, les plateformes ont beau jeu de dire qu'elles contribuent à l'économie, aux investissements et au développement des usages. Google dans les infrastructures, Meta dans les câbles sous-marins qui arrivent au Portugal, Netflix dans la production. On a vu que c'est devenu un acteur majeur en dix ans de présence sur notre territoire. Néanmoins, les opérateurs de télécommunications ne vont pas arrêter cette course effrénée. Ils se mettraient en danger sur l'attractivité même de leur réseau. Et s'il décidait de le faire ensemble, ça serait une entente. C'est interdit. Et ils ont aussi la menace d'acteurs alternatifs de constellations de satellites tels que Starlink. Et au final, une difficulté vis à vis de leurs propres clients. Parce que quand le film est bon, c'est grâce à Netflix. Mais quand il y a un bug, c'est de la faute de l'opérateur.
Delphine Sabattier: Alors qu'est-ce qu'ils peuvent faire? Juste en un mot?
David Lacombled: Il y a trois à quatre opérateurs par pays en Europe, soit 27. On est proche de 100. Là où vous en avez trois aux États-Unis. La consolidation du marché me semble inévitable si on veut conserver une qualité de réseau.
:: Pour aller plus loin:
:: Smart Tech est le magazine dédié au monde de l’innovation et à la nouvelle société numérique animé par Delphine Sabattier
:: Retrouvez B Smart sur votre TV: Bouygues (canal 245), Free (canal 349) et Orange (canal 230)