Intelligence artificielle

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«C’est comment qu'on freine?»

Plusieurs personnalités appellent à faire une «pause» dans le développement des intelligences artificielles génératives

Pour David Lacombled, dans sa chronique mensuelle sur B Smart, «pour qu'il y ait un moratoire, il faut que tout le monde soit d'accord».

Delphine Sabattier, journaliste: On a plusieurs personnalités experts de l'intelligence artificielle. On cite souvent Elon Musk, mais ce n'est pas le seul. Il y a aussi Steve Wozniak et Yoshua Bengio qui sont vraiment des personnalités importantes dans le domaine des tech aux Etats-Unis, mais pas seulement, qui demandent une pause dans la recherche sur intelligence artificielle générative. On a aussi un Belge qui se serait suicidé après six semaines d'échange avec un robot conversationnel, l'Italie, qui a décidé de demander à ChatGPT de retirer les données des citoyens européens italiens, pardon des données d'apprentissage pour non-conformité au RGPD, au règlement sur la protection des données en Europe et ce qu'il est urgent, selon vous, de lever le pied dans ce domaine?

David Lacombled, président de La villa numeris: Après l'enthousiasme et la vague, on assiste à une certaine forme de reflux. Or, c'est vrai qu'en matière de nouvelles technologies, souvent on est impressionné. Ça crée des émotions, de la sidération, de l'enthousiasme. Puis après vient le temps de la réflexion, de la méfiance parfois, de la défiance et d'interrogations qui peuvent se transformer en craintes, voire en rejet. Alors c'est vrai que ChatGPT, si on regarde il y a quatre mois, personne ne connaissait. C'est assez incroyable comme captation des audiences et de l'attention avec un nom qui désormais cristallise les débats. J'ai jeté un œil dans la plateforme de veille des médias qui s'appelle Tagaday et qui surveille l'intégralité de ce qui paraît dans la presse, la télévision, la radio et le web. ChatGPT a été cité trois fois dans la presse française en novembre 2022. On est monté à 800 fois en décembre, 6000 en janvier et à 8000 en février et mars. Et donc effectivement, il n'y a pas un seul journal qui n'a pas fait sa couverture dessus. C'est présent dans toutes les conférences et d'ailleurs beaucoup de de conférenciers commencent leur conférence par un discours qu'ils ont commandé à ChatGPT. Petit conseil d'ailleurs peut être pour les chefs d'entreprise, les directeurs de la communication. Il est grand temps de changer de gimmick parce qu'on l'a beaucoup vu. Mais au-delà, effectivement, on a une présence massive, permanente et on était à une citation par semaine cet automne, on en est à une toutes les cinq minutes désormais.

DS: Impressionnant! Et alors là on va en rajouter, la listant plus un nous même. Alors quel est votre regard, vous et votre analyse sur cet emballement?

DL: Les technologies étaient prêtes et désormais les données sont disponibles. La data, c'est le carburant de l'intelligence artificielle et ces données sont exponentielles. Il y a eu autant de données produites au cours des trois dernières années que dans tout le reste de l'humanité. Et il faut bien voir d'ailleurs que ces données ne sont pas encore intégrées dans les versions de ChatGPT. On imagine aisément ce que cela va pouvoir donner demain. Et ces données sont en partie créées par les utilisateurs et donc ça apparaît sans fin. Et effectivement, on est au devant de sauts et de ruptures assez incroyables puisque l'art de l'intelligence artificielle c'est d'extraire ces données et de les croiser pour faire des services qui nous sont très précieux au quotidien. Parce que ces intelligence artificielle se sont déjà immiscés dans nos vies, tels des tapis qu'on a glissé sous nos papiers, sous nos pieds quand on veut se déplacer par exemple avec des applications qui répondent au doigt et à l'oeil si je puis dire, Nos emails commencent à s'écrire tout seuls. Nos voitures sont de plus en plus autonomes et en réalité, on est prêts à vivre et à travailler avec ces intelligences artificielles. Alors là, ce qui est assez extraordinaire avec cette intelligence artificielle générative, c'est qu'on saute dans le grand bain. Et effectivement, on est favorablement surpris par la maturité technique et par la simplicité d'usage. Et il y a assez peu de personnes et de métier qui n'ont pas une petite idée de la manière dont cela va transformer leur vie. Il faut bien voir que un Français sur cinq a déjà testé l'application au cours des quatre derniers mois, selon un sondage Odoxa. Et il est vrai que maintenant, tous les avocats, on leur demande s'ils songent déjà à leur reconversion. Et c'est une petite musique qui monte, comme dans la chanson d'Alain Bashung «C'est comment qu'on freine?»

DS: Alors, est ce qu'on doit faire une pause? D'après vous.

DL: Cette tribune apporte une réflexion salutaire dès lors qu'il y a des applications et des technologies qui peuvent modifier en profondeur l'humanité. Ce qui est plus étonnant, c'est qu'elle émane de personnalités. Vous les avez citées qui ont été moteurs dans leur développement. Et dont certaines vont bénéficier de ces avancées. C'est un peu facile. On prend une telle avance et on arrête le reste. Au delà, pour qu'il y ait un moratoire, il faut que tout le monde soit d'accord. Je ne suis pas convaincu que la Chine soit complètement favorable quand on voit que cet Etat fait des intelligences artificielles un fer de lance de la surveillance généralisée au sein de cet Etat. Donc on va tout droit, non pas dans une guerre, mais un affrontement entre deux puissances technologiques efficientes que sont la Chine, Asie Pacifique d'un côté et les Etats-Unis d'Amérique de l'autre.

DS: Et l'Europe alors?

DL: L'Europe n'a pas dit son dernier mot. On l'a vu sur le plateau précédent. Un terrien sur dix est européen. C'est peu et beaucoup à la fois pour faire bouger les lignes, pour éveiller les consciences, pour gagner en humanité. Ce sont nos signes distinctifs, avec la qualité d'ailleurs de formation de nos ingénieurs que les Big Tech s'arrachent. S'il faut bien le voir, on a su innover en matière réglementaire et légale avec par exemple le RGPD, le règlement pour la protection des consommateurs dans le maniement des données. Il y a plusieurs règlements en cours d'élaboration à Bruxelles, dont un sur l'intelligence artificielle qui devra trouver son application dans les mois qui viennent. On va prendre un peu de retard parce que ChatGPT, par exemple, n'était clairement pas pris en compte dans ce règlement puisqu'il va réguler avec une approche par les risques, qu'ils soient minimaux, limités, élevés ou inacceptables. Et il est vrai que ChatGPT apparaît comme bien inoffensif. Et d'ailleurs il y a plein de choses qu'on ne peut pas faire. On ne peut pas avoir la recette d'une bombe nucléaire par exemple, avec cette intelligence artificielle. Néanmoins, effectivement, on voit bien que ça pourrait créer des monstres si on y applique pas des valeurs éthiques. Mais ce n'est pas tant les solutions qu'il va falloir réguler que ce qu'on peut en faire. Imaginez qu'on ait interdit les couteaux parce qu'on pouvait tuer avec alors que c'est autorisé pour faire de la découpe d'aliments. Et on est exactement dans le même cas de figure. Alors on a une grande bataille qui s'ouvre. Elle n'est pas perdue parce qu'elle ne fait que commencer. Faut il encore la mener.

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