Rencontre du 5 juin 2024 | Synthèse
Première pierre de nos travaux «IA en Europe»
Alors qu’ils ont annoncé un partenariat renforcé autour de l’IA en Europe, l’ESSEC Metalab et La villa numeris présentent les travaux qu’ils entendent mener ensemble
A la faveur de l’été, La villa numeris brosse un bilan de la saison de travail écoulée et se projette à la rentrée. Celle-ci s’annonce particulièrement dense au regard des travaux qui seront menés par La villa numeris consacrés à l’IA en Europe et le renforcement du partenariat avec l’ESSEC Metalab.
Des valeurs exigeantes
«Des valeurs communes et une approche pragmatique et respectueuse des personnes», note le président de La villa numeris, David Lacombled. L’ESSEC Metalab et La villa numeris étaient faits pour s’entendre! Judith Andrès, directrice de l’incubateur The Media House de l’ESSEC le confirme, soulignant «des valeurs d’excellence, d’exigence et d’éthique». «Convaincue, qu’avec les défis qui se dressent», il est, selon elle, nécessaire «de consacrer du temps, d’approfondir, de collaborer transversalement pour prendre des décisions éclairées». Ce partenariat «construit au fil de plusieurs réunions» explique David Lacombled est «très en lien avec le terrain. Il mêle une vision de la recherche avec les défis opérationnels et concrets», relate Judith Andrès. Il s’agit bien de «porter une réflexion robuste pour accompagner les réflexions du numérique». Celles-ci ont «un angle différent de l’angle technique» explique Abdelmounaim Derraz, directeur exécutif d’ESSEC Metalab. Il s’agit d’appréhender la façon dont «la technologie impacte l’entreprise et les individus». Le centre d’expertise se consacre notamment aux enjeux d’éducation. En effet, pour Abdelmounaim Derraz «les étudiants doivent être prêts à maîtriser les usages, les limites et les enjeux de l’IA et l’utiliser pour faire du bien dans le monde». Autre axe de l’ESSEC Metalab: la recherche, avec une approche pluridisciplinaire. Enfin le centre tend à s’inscrire dans le débat public.
Les défis qui se posent sur le leadership – une des thématiques de travaux qui seront menés dans le cadre du partenariat – sont nombreux. Il s’agit là d’ «appréhender la vélocité des technologies» décrypte Julien Malaurent, professeur à l’ESSEC et co-directeur académique de l’ESSEC Metalab qui interroge: «Quelles traductions dans les organisations? A quelle vitesse? On voit des usages non contrôlés». Autre sujet d’attention: «développer l’esprit critique», note-t-il en rappelant l’importance de «réglementer sans perdre en compétitivité. Les organisations cherchent à mettre en place des chartes éthiques. Il s’agit d’organiser la cohabitation entre algorithmes - de plus en plus invasifs dans la prise de décision - et les humains». Julien Malaurent prône ainsi «la mise en place de nouvelles métriques et KPIs» en veillant à «s’assurer que les recommandations restent toujours pertinentes». Pour lui, la formation est «le vrai enjeu». C’est «comprendre ce que sont les systèmes. Cela nécessite qu’on rentre dans une logique d’apprentissage». La gouvernance est clé. Aussi, Julien Malaurent insiste sur «le dialogue permanent nécessaire avec les différentes formes d’acteurs dans les organisations». «Ce qui nous différencie de ces systèmes? Nos capacités cognitives. Nous avons un système cognitif beaucoup plus performant», relate Julien Malaurent qui loue «la singularité humaine, l’empathie et la sérendipité positive». Il invite à «cultiver des bulles de déconnexion pour prendre ce recul».
Evoquant le plaidoyer «Pour une IA à impact positif» porté par La villa numeris et Rakuten qu’elle a coordonné, Marie-Aude Aufaure experte en IA rappelle que le groupe de travail dirigé par Fabien Versavau a tenu à «donner une vision de l’impact positif» de l’IA sur le champ sociétal notamment. En témoigne l’usage dans le domaine de la santé. Elle cite ainsi une compétition qui s’est tenue entre une équipe de chercheurs et des dermatologues où «l’IA a surperformé par rapport aux dermatologues pour des détections de tumeurs malignes». Autre champ où l’IA a un impact positif: l’éducation. Marie-Aude Aufaure rappelle que «les enseignants se sont servis des MOOC pour innover et faire des classes inversées». Elle loue l’adoption de l’IA Act «pour contribuer à la confiance et le respect des droits fondamentaux» et incite à «aller au-delà en termes de transparence et d’explicabilité».
Européens
Guillaume Leboucher, directeur data & IA de Docaposte distingue ceux qui construisent l’IA - «le monde des bâtisseurs d’IA qu’on a vu à VivaTech» - des autres. Les premiers sont américains, chinois et indiens. «On n’y est pas car nous n’avons pas les mêmes moyens», note-t-il tout en soulignant que «les conclusions de l’IA Act sont une avancée pour l’Europe. Il faut s’en réjouir». Il précise que «de grandes entreprises françaises se donnent beaucoup de mal pour rester dans la course».
«Nous sommes convaincus que les solutions d’IA sont une opportunité pour faire rayonner nos langues, cultures et valeurs» affirme d’entrée David Lacombled qui souhaite œuvrer à l’échelle de l’Europe. «La donnée est la matière première pour construire une architecture» explique Jean-Frédéric Farny, directeur général d’Aday, plateforme de valorisation des médias qui met en perspective «la matière utilisée pour entraîner l’architecture». Il évoque ainsi le gisement que représente la fondation américaine Common Crawl. Jean-Frédéric Farny relève que «la langue française ne pèse pas grand-chose dans les datasets ou le gisement de Common Crawl: 4% des contenus sont dits en français dont 3% proviennent des médias». Un vrai sujet d’attention pour «préserver le patrimoine». Il évoque ainsi l’inuit qui est considérée comme «une langue peu dotée. On ne trouve pas beaucoup de texte pour les entraîner» déplore-t-il. Aussi, il importe, selon lui, dans les pages indexées par Common Crawl où «l’on trouve de tout, de trier. Si on vient avec des registres où les contenus sont des comptes certifiés, on gagne du temps. L’authenticité est un jalon à poser pour les médias. Il faut remettre de la confiance».
Marie-Aude Aufaure met en exergue les enjeux de souveraineté: «on a des talents et des pépites. Des start-up travaillent sur l’explicabilité et sur les fake news. Il faut les soutenir et donner suffisamment de moyens à la recherche publique».
La bascule de l’IA générative
«Je me suis demandée s’il y avait des pionnières sur l’IA. Je connaissais des pionnières anglo-saxonnes du numérique mais je n’avais jamais entendu parler de pionnières françaises» se rappelle Marion Carré, fondatrice de Ask Mona, agent conversationnel en matière culturelle et auteure de «Qui a voulu effacer Alice Recoque?». Elle met en perspective «la trajectoire inspirante» d’Alice Recoque qui, «dans les années 1950, travaille sur le premier ordinateur français opérationnel. Dans les années 1980, elle bascule dans l’IA. C’est une pionnière dans ce qu’elle anticipe: l’évolution vers des usages personnels, l’impact de l’informatique sur la société notamment pour la protection de la liberté individuelle. C’est un arbre qui cache la forêt». Marion Carré considère qu’il importe de «mettre en avant des femmes pour inciter d’autres femmes à se lancer dans l’IA et envisager tous les impacts». Aussi, David Lacombled loue «la diffusion de la culture en matière d’IA, au sein de l’entreprise, sur la planète». C’est un instrument de soft power.
«Avec l’IA générative tout a changé. Certains appellent l’IA avant ChatGPT, ‘l’ancienne IA’. On est passé d’une IA qui prédisait à une IA qui génère et produit. L’IA générative va nous assister encore mieux et plus. On commence à parler avec des machines. D’ailleurs, la voix prend plus de place», décrypte Guillaume Leboucher pour qui cette IA est «un game changer» et changera «la vie des citoyens et des pays». Il cite ainsi l’application mobile de Docapost Dalvia Santé pour les professionnels de santé inscrite dans une démarche de souveraineté qui a connu un franc succès lors de Santé Expo. La bascule opérée par l’IA générative est confirmée par Marie-Aude Aufaure qui parle d’ailleurs de «tsunami de l’IA générative». L’IA est passée du laboratoire de recherche au grand public. Avec l’IA générative, on traite la voix, le code et la vidéo. Mais il manque le raisonnement humain et la mémoire qui est très complexe». Elle tient à rappeler les opportunités que représente l’IA pour le grand public tout en l’invitant à être «acculturé».
«L’IA a percuté notre activité», constate Rémi Godeau, directeur de la rédaction de l’Opinion qui a réalisé, à l’été 2023 une série sur l’IA «Odyssée de l’IA» composée de 30 épisodes: «un objet de curiosité. Depuis, tout a changé. Ce n’est plus seulement un sujet éditorial. C’est aussi un sujet interne avec la crainte de perte de contrôle des journalistes et les questions vis-à-vis des clients et des lecteurs. L’IA percute la relation de confiance. Les médias élaborent des chartes à usage interne mais aussi externe». Aussi, dans la continuité de cette série, se tiendra le 1er octobre une soirée où le débat sera porté autour de l’IA «avec un angle positif: une expérimentation sur scène», «une égérie virtuelle», en guise d’animatrice. Sera, à cette occasion, publié un numéro spécial de l’Opinion consacré aux «100 qui font l’IA au niveau européen».
Les médias abordent de façon conséquente cette bascule tant par les articles que par les dessins de presse, en témoigne le livre «Intelligence artificielle: une (r)évolution?» (Gallimard) de Cartooning for Peace, réseau international de dessinateurs de presse du monde entier. Sa directrice éditoriale Laure Simoes explique la démarche de l’association: «défendre les droits humains et la liberté d’expression». Elle note que «les dessinateurs de presse, à partir de l’avènement de ChatGPT dans nos vies, produisent des dessins inquiétants. On a compris à quel point l’IA générative bouleverse nos vies et nos sociétés. Cela soulève des questions d’ordre majeur à la fois éthique, juridique, et économique», assure Laure Simoes. Des questions comme autant de défis à relever.
:: Une démarche collaborative (réservée à nos membres)
A titre expérimental, l’intégralité des échanges a été enregistrée et retranscrite dans un Drive partagé à des fins d’enrichissements, de commentaires, d’éclairages, de suggestions, de liens documentaires accessibles des seuls intervenants et participants de l’événement, des professeurs associés du Metalab et des membres de La villa numeris.