Une vision des données agricoles

Une vision des données agricoles

#ImagineAgri Synthèse

Un vision camp pour imaginer le futur numérique de l’agriculture

A la suite d’un rapport préconisant la création d’un portail national de données agricoles, La villa numeris a animé en partenariat avec le ministère de l’Agriculture, mardi 21 mars, un « Vision Camp » intitulé #ImagineAgri ».

Cette journée de réflexion, structurée autour de cinq ateliers de prospective, avait pour objectif d’inviter différents acteurs de l’agriculture et du numérique à exprimer des besoins concrets et proposer des solutions pratiques auxquelles pourrait contribuer ce portail numérique, cela en considérant le statut juridique à conférer aux données mises à disposition sur la future plateforme au service de l’ensemble des acteurs de l’écosystème agricole.

Dynamique de l’agriculture connectée

Le 10 janvier, Jean-Marc Bournigal, président de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) a remis à Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture de l’agroalimentaire et de la forêt et à Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au Numérique et à l'Innovation le rapport sur la création d’un portail national de données agricoles que lui avaient demandé les ministres de l’Agriculture, de la Recherche et de l’Économie dans le cadre du plan d’actions Agriculture Innovation 2025. L’idée est de doter l’écosystème de l’agriculture numérique d’un outil propre à accompagner et à accélérer son évolution, contribuant ainsi à renforcer son attractivité.

Moins de deux mois plus tard, le 21 mars, le rendez-vous #ImagineAgri, animé par La villa numeris, réunissait, dans les locaux du ministère de l’agriculture, des acteurs de l’agriculture et du numérique autour de cinq ateliers thématiques se donnant pour ambition de déterminer les besoins et de déboucher sur un ensemble de propositions concrètes propres à illustrer les possibilités d'exploitation du futur portail de données agricoles et en démontrer l'intérêt.

La journée #ImagineAgri a été introduite par François Moreau, délégué ministériel chargé du numérique, Véronique Bellon-Maurel, directrice du département écotechnologies à l'Irstea et David Lacombled, président du think-tank La villa numeris, lequel a également coordonné l’animation des cinq ateliers de réflexion tout au long de l’après-midi. Puis, Julie Poidevin, co-fondatrice de l’institut Treize Articles (conseil en stratégie et en innovation digitale), a présenté une étude ayant pour objectif “d’explorer les attentes des agriculteurs en terme d’utilisation de la data agricole à travers l’analyse des conversations sur les réseaux sociaux d’une sélection de source”, a t-elle explicité. L'analyse, menée avec l'outil Social P/A, portait sur plus de 100 000 posts agrégés sur la période du 06 mars 2016 au 06 mars 2017. Le corpus  intégrait une série de flux référents sur le sujet de l’agriculture numérique et de la data agricole, à savoir 80 flux Twitter, 12 pages Facebook, 9 flux RSS, et 6 chaînes Youtube.

L’objectif de cette étude était d’identifier comment une sélection d’agriculteurs, d’experts, médias et institutionnels parlant d’agriculture numérique sur les réseaux sociaux, appréhendent les enjeux de la data agricole.

« La data agricole est un sujet émergeant.  Sur le corpus analysé, on constate que les posts les plus performants datent du Salon de l’agriculture 2017.  Il semble que les agriculteurs ne perçoivent pas le numérique ou la data agricole comme un sujet en soi. Il n’en ont pas une vision conceptuelle. Ils semblent plutôt s’approprier les solutions concrètes que le numérique porte et la manière dont il impacte leur quotidien» insiste Julie Poidevin.

Comme l’a rappelé Véronique Bellon-Maurel (Irstea) dans son introduction à #ImagineAgri, l’agriculture est un des secteurs pionniers de la transition numérique de l’économie française. Parmi les indicateurs qui permettent de mesurer la révolution de la donnée agricole, figurent le développement des méthodes de traitement informatique, la collecte systématique des données et le développement de technologies d’acquisition massive des données, ce y compris de données de haute précision. Au coeur des exploitations, le nombre croissant de capteurs et d’objets connectés, comme les stations météo, les drones, les capteurs aux champs, les puces électroniques ou encore les satellites, rendent visibles cette transformation.

L’agriculteur d’aujourd’hui est déjà un agriculteur connecté : 57% des agriculteurs perçoivent la rentabilité des technologies numériques et 82% pensent qu’elles ont entraîné des gains de productivité et 85% jugent que ces technologies ont entraîné des économies sur l’utilisation d’intrants. Cette révolution de la data agricole est rapide : entre 2013 et 2015, l’accroissement de l’utilisation des applications professionnelles par les agriculteurs possédant un smartphone s’élève à 110%.

L’étude conduite par Treize Articles a mis au jour le fait que sur les réseaux sociaux, les hashtags (mots-clefs) distinguent les univers sémantiques relevant respectivement d’une vision pragmatique correspondant aux usages concrets du numérique dans l’agriculture « #tracteur, #drone, #IoT, #OAD », et ceux relevant d’une dimension conceptuelle correspondant à des termes génériques « #AgTech, #Agriculture numérique, #Bigdata agricole » principalement utilisés par les institutionnels, la Recherche et la Tech. Les professionnels de l’agriculture abordent la data agricole selon l’angle des outils d’aide à la décision et au travers d’échanges de services et de conseils entre communautés de corps de métier agricoles, à l’instar de la page Terre-Net sur Facebook, qui enregistre plus de 16 000 abonnés. La même étude  montre en outre que le dernier salon Innov-Agri a donné lieu à une forte présence des agriculteurs sur les réseaux sociaux : “ le YouTubeur star de “La chaîne agricole”, qui présente les démos de ses tracteurs,  le co-farming et la plateforme agriconomie en abordant le numérique à travers des usages concrets : test de matériel, plateformes d’échange et d’achats…”. Pour sa part, l’écosystème startup accompagne ces nouveaux usages professionnels en s’emparant du sujet de la data agricole, comme permettent de le mesurer les hashtags #AgriTech et #FoodTech sur Twitter, ou encore le compte Twitter @pilotersaferme. Le sujet de la data agricole est en outre  traité en tant que tel par les médias de la Tech (Maddyness, Frenchweb…), les Think Tank et les institutions.

Dans cette dynamique, qui englobe aussi bien les aspects pratiques que théoriques de « l’agritech », l’objectif du projet de portail de données agricoles est triple : faciliter l’accès à des données agricoles et accélérer par ce moyen les processus de développement de savoirs et de connaissances — notamment pour anticiper les risques climatiques, environnementaux et sanitaires ; étoffer l’offre de services au bénéfice de tout l’écosystème de l’agriculture ; et, à échelle internationale, « optimiser la structuration des démarches à l’export », selon l’expression du ministre de l’agriculture, Stéphane le Foll, venu clôturer la rencontre #ImagineAgri.

Vers la mise en place du portail de données agricoles : acteurs, besoins, enjeux et solutions

Concrètement, la création d’un portail de données agricoles met en place des besoins nouveaux auxquels est invité à répondre le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire  ces prochaines années, notamment en termes de recherche, d’accompagnement et de financement.

Le portail de données agricoles ouvertes pose aussi une série de questions relatives à la collecte, la vérification, la protection et la propriété des données agricoles (accès, interconnexion, sécurisation, anonymisation, gouvernance des data ). A cet égard, la mise en place d’un tel outil se heurte à deux visions divergentes de l’agriculture numérique et des enjeux de la data agricole. La première correspond à l’image du domaine clôturé : elle est « fermée » et hiérarchisée, et certains opérateurs conservent la data, la garantissent et en contrôlent la valeur ajoutée. La seconde correspond au champ ouvert : elle est plus horizontale, admet que de nouveaux opérateurs soient appelés à modifier les métiers et les marchés et s'oppose à l'accaparement des données par certains acteurs.

Les cinq ateliers d’#ImagineAgri

Dans son introduction au « Vision Camp », Véronique Bellon-Maurel a noté les principales problématiques qui apparaissent autour de l’agriculture numérique et de la data agricole, au delà des hashtags relevés sur les réseaux sociaux  : réaliser des économies et s’interroger sur de nouveaux modèles de rendement; mieux anticiper et gérer les risques ; rester informé en continu et renforcer son expertise et optimiser sa gestion administrative, recréer du lien social autour de valeurs propres à l’agriculture comme le partage et la coopération. Ce constat a donné son architecture à la journée #ImagineAgri , qui s’est articulée autour de cinq ateliers d’une durée de deux heures au cours desquelles des acteurs de l’agriculture et du numérique ont pu joindre leurs retours d’expérience, leurs expertises et leurs idées afin de déterminer les besoins, de relever les enjeux et de projeter des solutions.

« Ergonomie », « interopérabilité », « partage », « traçabilité », « confiance » : les mots-clef revenus fréquemment dans les discussions ont démontré que les acteurs de l’agriculture et du numérique concevaient la révolution de la data en lien avec l’idée de progrès. En effet, les débats ont insisté sur l’importance de donner du sens aux usages du numérique, au delà de l’objectif du rendement. Les nouvelles technologies, la création de nouvelles applications mobiles et la mise en place d’un portail numérique mutualisant les données agricoles ont du sens à condition qu’elles donnent lieu à un plus grand partage des savoirs, des connaissances et des outils de travail — et de ce fait, à des relations BtoB plus transparentes et plus efficaces,  mais aussi qu’elles encouragent une liaisomaine clôturé : elle est « fermée » et hiérarchisée, et prévoit que certains opérateurs conservent la data et la garantissent. La seconde correspond au champ ouvert : elle est plus horizontale et admet que de nouveaux opérateurs soient appelés à modifier les métiers et les marchés.

Des échanges en ateliers, il ressort que l’enjeu de l’agriculture numérique en terme de ressources humaines est logiquement le repositionnement des acteurs de l’agriculture sur la chaîne de valeur.

Enfin, la question autour de la protection et de la propriété des données, soulevée dans chacun des ateliers, a mis au jour la difficulté que pose l’exploitation à grande échelle des data agricoles sur un portail national.

Réinventer la chaîne alimentaire, de la production à la consommation

Avec pour leitmotiv « volume, variété, vision », l’agriculture de demain a pour but premier de produire, c’est à dire de nourrir la planète et de fournir les matières premières énergétiques et chimiques destinées aux usages non alimentaires. Tel était l’objet de l’atelier « Agriéconomie : encourager les nouvelles formes de production et de commercialisation » , animé par David Senet (Chef du bureau de l'emploi et de l'innovation au Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ).

Les préconisations de cet atelier visaient à optimiser l’efficacité dans la gestion au quotidien d’une exploitation, ce qui passe avant tout par l’’interopérabilité et la convergence des plateformes numériques, garantissant la fiabilité des données. Il conviendrait de créer des applications mobiles permettant aux utilisateurs d’automatiser la saisie de la donnée dès que possible pour éviter les erreurs et la perte de temps qu’induit la multiplication des saisies. Cela ne va pas de soi, quand on sait que l’accès à certaines plateformes de data agricoles est autorisé moyennant un abonnement.

L’atelier a en outre suggéré de développer les systèmes d’alerte pour concentrer l’intervention sur les actes qui le nécessitent, de permettre aux agriculteurs de gérer de façon collective et spatialisée les ressources (eau, azote, matériel …). Autre idée : faciliter l’accès à l’information en partageant l’évaluation des Outils d’Aide à la Décision (OAD) , par exemple via une sorte de « Trip Advisor » qui porterait sur les décisions de semences et de récoltes. Cet accès à une information partagée sur les décisions technico-économiques permettrait un benchmarking instantané entre pairs dont la taille de l’exploitation est l’activité est comparable.

Maîtriser les risques

Tout en répondant à une exigence de production et de commercialisation, l’agriculture de demain devra réduire son empreinte environnementale, participer à la lutte contre le changement climatique et s’adapter en réalisant la transition agro-écologique. L’atelier « Risques : anticiper et gérer les risques sanitaires, environnementaux et climatiques », animé par Jean-Philippe Grelot (chef de projet valorisation des données géographiques et numériques dans le domaine agricole et forestier) évaluait ce défi.

L’atelier a suggéré la création d’une application mobile de suivi de la santé des cultures, à savoir la détection précoce des organismes nuisibles et le partage d'observations entre exploitants. Les participants ont insisté sur l’importance de cartographie des risques en temps réel à large échelle avec suivi des niveaux d’alerte, qui suppose le partage d’observations de terrain à échelle d’une communauté agricole.

Mais, l’agriculteur qui partage les données liées à un phénomène de maladie de ses plantations sur une de ses parcelles, en avertissant d’un risque phytosanitaire, encourt un risque économique. Comment peut-il éviter d’être confronté à ce dilemme ?

Autre difficulté : celle de l’échelle d’opérabilité des données. Les risques, climatiques et environnementaux, s’arrêtent rarement aux frontières de l’hexagone. Faut-il imaginer un portail des données agricoles à échelle européenne ?

Rester informé en continu et renforcer son expertise et optimiser sa gestion administrative

De l’atelier « Usagers : simplifier les démarches et les services », animé par Véronique Mary (correspondante modernisation au ministère de l’agriculture,) il faut retenir deux propositions fortes : la création d’un service web des données de l’exploitation qui alimente tous les systèmes d’information, privés et publics, qu’utilise l’agriculteur, et la mise en place d’un démonstrateur intitulé « passeport des données », se présentant sous l’aspect d’une solution informatique de gestion du consentement.

Créer du lien en BtoB et en BtoC

« Communautés : créer du lien social et de l’engagement », était animé par Mathieu Moslonka-Lefebvre.

Pour rapprocher producteurs, consommateurs, citoyens, il va falloir former les agriculteurs aux réseaux sociaux « généralistes » Facebook et de Twitter, comme le certifie Vincent Guyot, cultivateur céréalier dans l’Aisne et qui occupe l’espace médiatique en se montrant hyperactif sur Twitter. Favoriser les circuits-courts en BtoC passe en effet aussi par le numérique. Dans le même temps, les outils « territoriaux » (Laboratoires d’Innovations Territoriales, living labs…) favorisent les échanges entre agriculteurs, qui peuvent s’y entretenir  de manière transparente et libre sur leurs besoins en main d’œuvre ou en matériel.

A été évoquée la perspective d’un blockchain agricole, ce qui permettrait aux agriculteurs  d’éviter des plateformes intermédiaires à l'instar de co-farming, une startup de location de matériel à l’heure qui prend une commission sur les transactions.

Former en continu et recruter les agriculteurs de demain

Enfin, pour rester attractif, le secteur agricole devra répondre à des défis humains en créant des vocations, ce qui passe par l’impératif d’offrir des formations initiales et continues adaptées. L’atelier « Savoirs : se former et partager les bonnes pratiques », animé par Cyril Kao (sous-directeur de la Recherche, de l'Innovation et des Coopérations Internationales, ministère de l’agriculture), se demandait comment former les futurs agriculteurs à une utilisation raisonnée du numérique.

L’agriculteur de demain devra t-il être à la fois exploitant, agronome, data scientist qui vérifie lui-même les capteurs délivrant les data, et enfin community manager sur les réseaux sociaux pour s’appliquer à mieux informer, et même cibler le consommateur

Quels sont les modèles de dispositifs de « tri » des savoirs, de qualification collective, de validation et de transmission des savoir-faire et des savoirs ? L’atelier a évoqué le cas d’Agrifind lancée en 2017. Cette plate-forme de commercialisation de prestations de conseils en agriculture, avant d’élargir ses services à l’e-learning.Les agriculteurs désireux de partager leurs savoirs et leurs connaissances peuvent s’inscrire sur le site et proposer leurs conseils sous forme de prestations au format libre dans des domaines aussi divers que le machinisme, les productions végétales et animales, la commercialisation et de la gestion des exploitations

Rapporté à la data, l’enjeu du savoir et des partages des pratiques n’est ni plus ni moins la possibilité pour les agriculteurs de maîtriser les data agricoles, de leur collecte à leur partage en réseaux.

En fin de journée, la synthèse de tous ces travaux a été portée à la connaissance du ministre de l'Agriculture.

Dans un pays qui consacre près de 10% de la dépense publique de R&D à l'agriculture et à l’agroalimentaire, le rôle du ministère, qui vient d’allouer « 9 millions d’euros sur 7 ans » aux enjeux liés à la data agricole, consiste à « mettre en place une démarche ouverte », a expliqué Stéphane le Foll. Il estime que les « espaces de discussions où les agriculteurs, « acteurs du numérique »,  « partagent des expériences , diffusent de la connaissance » représentent un puissant levier d’aide à la profession et permettra même « de conquérir des marchés à l’international ».

Le ministre de l’agriculture a tenu à s’exprimer sur la façon dont il souhaitait que soit arbitrée la gouvernance du futur portail de données agricoles, réconciliant les deux visions opposées à ce sujet : les données, ouvertes, seront mises à disposition sur la plateforme tout en restant la priorité de ceux qui les ont produites : « il faut qu’ils [les agriculteurs] restent maîtres de la gestion et de l’accès à ces données », car « si les propriétaires des données ne sont pas les agriculteurs, il y aura des coûts »